La prévôté d'Haspres dépendait jadis de l'abbaye de Jumièges située en Normandie près de Rouen. L'abbaye de Jumièges fût fondée en 654 par Saint Filibert. Jumièges est alors un exemple de société dirigée par des moines benedictins. Ceux ci s'emploient à cultiver les terres, à tracer des routes, batir des écoles et des églises. Mais en 851 les vikings, terribles ravageurs arrivent en Normandie. Ils pillent et brulent le monastère, les moines sont tués, quelques un réussissent à s'enfuir et vont se réfugier à Haspres, emmenant avec eux les reliques de Saint Hugues et Saint Achard. Lorsque les normands arrivérent dans le Hainaut, les reliques furent misent en sécurité dans le chateau fort de Douai, puis à St Omer pour revenir ensuite à Haspres.
Saint AYCADRE Second Abbé - 682
Saint Achard (Akaire), Acaire, Aichard, Achard ou Aicadre (du latin Aicardus, Aichardus, Aichadrus) est né en 624 dans le Poitou issu d'une bonne famille. Il est placé sous l'autorité de Saint Filibert qui le nomme premier abbé de Quincay. Peu de temps après il est intronisé auprès de l'évêque de Rouen abbé de Jumièges. Celui ci va faire prospérer d'une manière significative la communauté de Jumièges. Plusieurs séries de miracles lui sont accordés de son vivant, celui-ci chassant les démons qui hantent l'abbaye. Il meurt en 687, ses reliques sont transférées à Haspres pendant les invasions vikings de 851.
Saint Achard est fêté le 15 septembre.
Saint HUGUES Quatrième Abbé - 724
Hugues est né à la fin du VIIe Siècle, fils de Drogon et d'Anstrude. De part son père il était le petit fils de Pépin de Héristal (neveu de Charles Martel, et cousin germain du roi Pépin). Il est élevé auprès de son aïeule maternelle, dame de grande piétè, qui s'applique à lui enseigner la loi du Seigneur. N'étant encore que laïque, il donne ses terres aux abbayes de St Wandrille et de Jumièges. En 718 il décide de se retirer au monastère de Jumiège, sous la protection de l'abbé COCHIN. Le siège episcopal de Rouen étant vacant, il est y est nommé evêque. Peu de temps après il est nommé abbé de St Wandrille, puis evêque de Paris. Il est presque en même temps evêque de Bayeux et de Jumièges. Il meurt à Jumièges en 730 ou il va reposer jusqu'aux invasions barbares. Son corps est alors transporté à Haspres.
Saint Achard vs Saint Achaire
Eclairons le lecteur sur l'éventuelle confusion qu'il pourrait y avoir avec un autre Saint portant le même patronyme Achaire (Acarius, ou Aicarius), qui fut moine de Luxeuil (Haute Saône), puis évêque de Noyon et Tournai. Il est mort vers 639 à Noyon à l'âge de soixante dix ans. Ses reliques avaient également la réputation de guérir les malades atteints de dérangement mental.
D'ailleurs cette confusion de deux personnages distincts (presque contemporrain), n'a t'elle pas été entretenue volontairement par les moines de Jumièges dès le X° siècles, attribuant à Saint Achard des vertus de Saint Achaire ? L'article de Monsieur André Bigotte Entre tradition et questionnement pose les bases d'un débat sur le sujet.
Comme le montre l'illustration proposée ci dessus, le mal de frénésie ou dérangement de l'esprit est symbolisé par une araignée qui semble sortir du crane de la personne malade. Le symbole de l'araignée ne s'apparenterait-il pas avec l'expression designant une personne un peu folle : "avoir une araignée dans le plafond" ?
Marché de la châsse de Saint Hugues - 4 janvier 1608
Les précieuses reliques de Saints Hugues et Saint Achard sont préservées dans un coffre en bois que l'on nomme châsse, celle ci se dégrage avec les ans. L'inventaire sommaire de la Prévôté nous donne quelques renseignements au sujet de leurs entretiens.
En 1608 le marché de la châsse de Saint Hugues est contracté avec Andrieu Dath, orfèvre à Valenciennes; cette châsse se trouvait alors en la chapelle de Malannoy; l'orfèvre visitera le bois de la châsse, particulièrement la moulure du bas, il ne devra en changer la forme ni la façon "quy se trouve avoir de long quattre piedz et demy ou environ et de large ung pied sept poulces ou environ... et at de haulteur deux pieds huict poulces"; il fera 8 "boulles en forme ovale" pour soutenir la châsse avec une moulure au milieu; seront faits deux apôtres pour remplacer ceux qu'on a dérobés, ils correspondront le plus possible à ceux qui restent; seront raccommodées toutes les autres images des Apôtres se trouvant sur les côtés et l'image du Sauveur et celle de saint Hugues se trouvant aux deux bouts; les pierreries seront remises en couleur; il livrera le cuivre et fera trois petites tourelles qui se trouvent manquer en trois coins de la châsse; seront faites "deux ovalles" pour y enserrer l'ossement de saint Hugues qui sera recouvert d'un beau cristal, etc.
Le prix du marché est fixé à 1 200 florins.
Nous remarquerons par ailleurs la ressemblance entre le nom de Saint Achaire et l'adjectif acariatre qui désigne une personne d'une humeur fâcheuse et aigre. Monsieur André Bigotte dans une analyse inédite, tente de nous donner une explication sur les origines de cet adjectif. Henri Platelle (Quelques Saints invoqués contre la folie dans les anciens Pays Bas) priviligie l'hypothèse que la spécialisation de Saint Achaire à guerir les malades s'est imposée à cause de son nom (comme on prie Sainte Claire pour le beau temps), plutôt que le qualificatif d'acariatre que l'on attribuait aux gens d'humeur difficile parce qu'ils semblaient relever des pouvoirs de Saint Acaire.
Au XIII° siècle la réputation de Saint Achaire (Achard ?) semble bien établie et se répandie au délà de notre village. De nombreux fidèles arrivèrent, presque sans interuption à Haspres pour les vénérer.
Un sanctuaire dédié à Saint Achaire et fréquenté dés le XIII° siècle, ainsi qu'un hôpital destiné à l'accueil des pélerins fondé en 1218 existaient à Haspres. Ils reçoivent de nombreux malades déments durant tout le moyen age, la folie dont sont atteind les malades est parfois désignée sous le nom de mal de Saint Achaire. Il était tenu un registre de la confrérie des saints patrons Hugues et Achaire : on y inscrivait les guérisons opérées par l'intercession de ces deux vénérables religieux. Au XVIII° siècle, les malades qui se déclaraient guéris "signaient sur le registre avec le trésorier de la prévôté".
Un registre des guerisons existait donc à Haspres. D'après Jurénil celui ci était tenu par la confrérie de Saint Hugues et Saint Achaire érigée à Haspres en 1604. On y notait le recit des miracles opérés par l'intercession de ces deux Saints Patrons. Ce recueil pour Haspres, était encore tenu en 1724, comme l'indique une histoire abrégée des reliques et des saints qu'on honore à la prévôté d'Haspres paru en 1727."
Des saints patrons guerrisseurs
Les reliques de Saint Hugues et Saint Achaire ont rendus célèbre le monastère d'Haspres : "Celle ci guérissent d'un certain mal qui rend les hommes furieux, insensés et comme transportés de rage, en un mot acariatres."
De nombreux pélerinages eurent lieu, pendant des siècles à Haspres, ou l'on allait servir les fameuses reliques quand le cerveau est blessé. Ce n'était pas seulement la foule qui venait à Haspres, des seigneurs y entreprenaient des pélerinages avant de partir en guerre. Aussi de nombreux dons étaient ils faits au prieuré, ou la richesse amena le désordre.
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Saint Achaire (Achard) | Saint Hugues |
Vers 1225, le poête arrageois Adam de la Halle (appelé également Adam le Bossu) donne une place importante à Saint à Achaire dans le Jeu de Feuillée. Il s'agit d'une comédie satirique où l'auteur se met en scéne et fait défiler quantité de ses compatriotes. Or l'un des personnages haut en couleur est un moine du monastère d'Haspres. Il transporte avec lui des reliques de Saint Acaire, dont il vente les mérites. Finalement les compères se rendent dans une taverne, le moine s'endort et ses compagnons s'esquivent en mettant sur son compte toutes les consommations. Le moine doit alors laisser les reliques en gage.
Seigneurs, monseigneur saint Acaire vous est venu visiter ici. Approchez vous tous le prier, et que chacun mette son offrande; car il n'y a saint d'ici jusqu'en Irlande qui fasse d'aussi beaux miracles : en effet il chasse le diable (hors) de l'homme par le saint miracle divin, et il guérit de la démence communément les fous et les folles; souvent je vois venir à Haspre, notre monastère, des plus idiotes qui sont guéries à leur départ; car le saint est de grand mérite et avec une petite aumône vous pouvez faire du bien du saint.
Extrait du jeu de la feuillé par Adam de la Halle
André Jurénil dans son premier volume Denain et l'Ostrevant, cite le préfet Dieudonné (XIX° siècle) : "il était peu de pays qui comptassent plus de pélerinages et d'objets de dévotion particulière. La plupart des villages de toutes les espèces de maux avaient leurs saints miraculeux visités par les pélerins." A quelques pas d'Haspres, n'y avait-il pas la fontaine Sainte Remfroye à Denain, qui avait la réputation de guerir la cécité, ou du moins les maladies des yeux.
La folie du roi Charles VI
Par une très chaude journée d'été, le jeune roi fut arrêté brusquement en travesant une forêt, par un inconnu en haillon. A la suite de cette rencontre il devint fou. En 1392, pour tenter de le guérir une statue de cire le représentant fut envoyée à Haspres. A la suite de cette folie une térrible guerre civile éclata entre deux partis ennemis, celui des Armagnacs et celui des Bourguignons. Charles VI mourut en 1422.
Jurénil précise, qu'il etait plutôt convenu de croire que la folie de Charles VI avait surtout été augmentée par l'apparition de cet homme sordidement vêtu qui, dans la forêt du Mans, s'était jeté au devant de lui, en proferant des paroles insensées.
Froissart écrit à ce sujet : "qu'on venait de moult lieues visiter Saint Acquaire pour se guérir de la frénaisie et resverie, et qu'il y fut envoyé un homme, faict de cyre en forme du Roy de France et un très beau cierge et grand et offert moult devotement et humblement au corps Saint" afin qu'il intercedât auprès de Dieu pour alléger le Roy de son mal.
Cependant les reliques de Saint Achaire ne se trouvaient probablement plus à Haspres, car l'abbaye avait souvent été devastée durant les guerres du Hainaut. Ce serai a Avesnes le Sec, village voisin que les reliques auraient été cachées. Certains chroniqueurs ecrivent d'ailleurs qu'une statue de cire à l'éfigie du Roi aurait également été envoyée à Avesnes le Sec.
La vogue fut donc grande en faveur des reliques d'Haspres, particulièrement vers le milieu du XVI° siècle. Tout homme, "insensible" ou "battu de la maladie de Saint Akaire", était alors envoyé à Haspres ou à Renais, "à l'intention de alégier et estre garis de sa maladie".
Chaque année au mois de mai pour la fête de l'ascension, les Haspriens leur rendent hommage lors de la procession.
Sources utilisées :
- Histoire de l'abbaye Royale de Saint Pierre de Jumièges par un religieux bénédictin.
- Th.Louise et E.Auger
- Dom *** Religieux de St Vaast - Travaux de Charles Laurent
- André Jurénil, Denain et l'Ostrevant
- http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k65298134/f9.image