La vie à la prévôté
 
Ph Caverel
 

Comme nous l'avons vu dans l'article consacré à la prévôté d'Haspres, l'abbaye appartenait dans les temps les plus reculés à l'abbaye de Jumièges, avant d'être définitivement rattachée à l'abbaye de Saint Vaast d'Arras.

Un document intitulé Histoire des ordres religieux et militaires, nous donne quelques informations sur la vie menée par les moines de la prévôté.

L'ordre de Saint Benoit

Deux type de monastères s'observent sur le territoire franc au VII° siècle. L'ordre la plus répendue fondé par Saint Benoit de Nursie (480-547) est plus connu sous le nom d'ordre des bénédictins. Les monastères appartenant à cet ordre vivent selon la règle de Saint Benoit. Celle ci connait un rapide succès, car elle est moins contraignante que les règles monastiques existantes à l'époque. L'équilibre entre prière et travail est fondamental.

Les bénédictins portent généralement un habit de couleur noir, d'ou parfois le nom de moines noirs.

Les religieux suivent la discipline imposée par l'Abbé :

Lettre de l'Abbé du 21 janvier 1616 annoncant le prochain voyage à Haspres de Ph.d'Oignies, recommandant de ne pas laisser sortir les religieux :

Le bon religieux doit chérir sa cellule et chambrette et lui doit servir comme de paradis, a quelle occasion Saint Bernard ecrit que cella et coelum ont fort grande correspondance tant en écriture comme autrement.

Pour ce distraire les moines jouent de la viole. Cette distraction leur est accordée par l'Abbé qui contribu à l'achat et à l'entretien de l'instrument.

L'abbaye de Saint Vaast d'Arras

L'abbaye royale de Saint Vaast d'Arras, doit son nom à son fondateur S.Vaast et est redevable de son accroissement à S.Aubert, un de ses successeurs. Elle eut pour fondateur , en 680, Thierri, roi de France, qui la dota de 122 religieux de l'ordre de Saint Benoit. Cette abbaye formait une congrégation de l'ensemble des monastères de l'Ordre de Saint Benoit, situés dans les provinces de Flandres, Sens et Reims. Toutefois les guerres succéssives amenèrent la division, si bien que chaque abbaye, devenue indépendante, tomba dans le relachement. Cette situation perdura jusqu'à la fin du concile de Trente, où Dom Sarrasin s'appliqua a restaurer la discipline religieuse.

Philippe de Caverel lui succéda et fut pendant trente six années abbé de Saint Vaast. A sa mort en 1636, l'abbaye de Saint Vaast souffrit de toutes sortes de disgrâces à cause de la guerre qui éclata.

Louis XIII accorda cette abbaye en 1641 à Dom Maximilien de Bourgogne, qui nomma Jean de Nizart à la tête du monastère. Auparavant Jean de Nizart gouverna quelque temps le prévôté d'Haspres. Ses armes ainsi que sa devise "Nisus ad Bravium", apparaissent sculptées sur une table basse dans le choeur de notre église.

L'abbaye connait une nouvelle période de trouble jusqu'en 1715 ou elle revient au Cardinal de Rohan.

Organisation de l'abbaye

Rappelons que quatre prévôtés principales dépendent de l'abbaye de Saint Vaast d'Arras. La plus importante est sans aucun doute celle de Haspres, où séjourent dix à douze religieux, dont un fait office de prieur, et un autre trésorier. Le prévôt est quand à lui est membre des états du Hainaut. La seconde est celle de Berclau située près de la Bassée, où il y a ordinairement trois religieux placés sous l'autorité du prévôt. La troisième est celle de Gorres près de Béthune et Boeurieres et la quatrième située de l'autre côté de Béthune. L'abbaye de Saint Vaast, compte également d'autres prévôtés de moindre importance.

L'organisation de l'abbaye de Saint Vaast d'Arras doit également être déclinée sur ses prévôtés. Comme le rappelle un mémoire de 1743 les prévôtés ne sont que pour des prevots sans compagnons religieux, car leurs fonctions principales consistent à veiller au temporel de l'abbaye. A côté du prévôt qui est le premier homme de loi, on trouve le Bailly et les échevins. Le grénetier, reçoit les grains et a soin du bois et du charbon; il est aussi chapelain de l'abbé. Le trésorier a soin de la cire, du linge, des ornements de l'église et de la sonnerie. Le vinier a soin de la cave au vin et celle de la bière. L'aumonier distribue aux pauvres l'aumône, le sacristain a soin des reliques et de l'argenterie de l'église, pour le coeur il y a le chantre et le sous chantre.

Plaidoyer de Dom Martin Asset en mars 1512 :

Le personnel d'Haspres se compose d'un prieur, d'un trésorier et d'un "soucretain", le prieur est révocable par l'abbé et les religieux ne sont en aucune façon sujets du prévôt, mais sous la correction et discipline de l'Abbé, le trésorier a la charge des reliques, trésorerie et pélerins qui viennent honnorer les restes de Saint Hugues et Saint Achaire. Un autre religieux a commission de s'occuper du temporel au nom de l'abbaye, c'est le prévôt.

Une ordonnance de 1526 fournit quelques éléments concernant la dépense ordinaire des 6 religieux d'Haspres pour leur subsistance alimentaire :

les religieux auront pour leur pain de provende (provision) deux pains blancs, deux pains bruns, une pinte de vin et un demi lot de cervoise. Du jour de Pâques à la Sainte Croix en septembre, ils toucheront, excepté le vendredi et le samedi, une pièce et demie de mouton. Du jour de Sainte Croix au carême une pièce seulement et les jours maigres du poisson, des oeufs et du beurre, au diner deux oeufs et une pièce de poisson comme une demi carpe ou une pièce de morue, au souper 4 oeufs frais. Chaque vendredi et samedi, sauf en carême, une petite tarte ou morceau de fromage, au diner sera servi un potage de pois ou de purée selon le temps; pendant les avents ils auront droit à deux oeufs, un morceau de poisson, une 1/2 livre de beurre pour six, des tartes deux fois la semaine ou bien deux harengs chacun et un morceau de fromage; pendant le carême, par jour deux harangs, deux "soretz", un morceau de poisson, un "escaudés" et au souper du dimanche un morceau de poisson; les repas seront pris en commun et les reliefs distribués aux pauvres. Les serviteurs, ordinairement au nombre de six, toucheront quatre petits pains bruns, un demi lot de cervoise, deux pièces de boeuf salé, six oeufs chacun les jours maigres ou du poisson; enfin il leur sera donné du bois de chauffage à partir de la nuit de la Toussaint jusqu'à la nuit de Pâques.

Chaque moine a donc une fonction au sein de la prévôté, ainsi en 1775, l'intendance de la cuisine est donnée au moine Charlon, la cave au moine Vanoutshoorn, la chapelle au moine Laignel.

La vie à la prévôté

Comme nous l'avons vu plus haut, la vie monastique est rythmée par la prière et le travail. Les moines se lèvent vers 6 heures pour chanter une messe à la vierge. Puis ils chantent prime à 7 heures, puis l'office de la vierge, ensuite le martyrologe, après quoi ils vont au chapitre reconnaitre leurs fautes, et retournent au choeur pour dire tierce, sexte et none, et l'office de la vierge. Les vêpres sont chantées à 3 heures de l'après midi. Après le souper on chante les complies, suivies d'une action de grace devant le grand autel. Chacun se retire ensuite dans sa chambre. Vers onze heures du soir les moines se rendent à matines. Personne ne peut se soustraire aux offices divins.

Cuisine de la prévôté

L'inventaire réalisé en 1788, nous donne un aperçu de la vie des religieux à cette époque.

L'art de la table est à souligner. Les religieux se servent de cuillères et de fourchettes en argent, ainsi que de linge de table. Dans la cuisine bien équipée on trouve le nécessaire pour rôtir de la viande.

13° Dans la salle à manger une table et son dessous de marbre, une fontaine de marbre, une table à manger, dix sept chaises, un buffet garni d'une portion d'assiette et de plat, dans le bas du buffet trente cinq services, six cuillères argenté, deux cuillères à soupe, treize cuillères à café, etc..... le tout d'argent et deux douzaine de couteaux.

14° Dans la cuisine, plusieurs tables et chaises, cinq marmites, deux poissonnières, douze casseroles, quatre tourtières, une bouilloire, deux passoires, une bassine, un tourne broche et accessoires, deux poêles à frire, .....

15° Dans l'office huit douzaines d'assiettes, une douzaine de plat, tant rond qu'ovale, deux douzaine d'assiettes de gré d'Angleterre, quatre saladiers, deux soupières, plusieurs assiettes et plats, deux douzaines de tasse et un service de porcelaine, deux carafons, douze chandeliers et plusieurs mouchettes(*) de cuivres.

(*) ustensile permettant de moucher (éteindre) les chandelles.

16° Dans deux armoires ci dessus mentionnées quarante six nappes, soixante et une douzaine de serviettes, deux douzaines et demie de serviettes et neuf nappes damassée, quarante trois paires de draps de maître, trente huit paires de draps de domestiques, vingt six taies d'oreillers.

La basse-cour fournit son contingent de vivre.

20° Dans le grenier de la dite prévôté deux cents mencaudées de bled environ provenant tant de fermage que de la dôme récolté à la grande de la dite prévôté, quatre vingt mencaudées d'avoine, six de foins.

21° Dans la basse cour quatre chevaux, un mulet, trois vaches, une génisse, des poules et des poulets, dans la grange une quantité de foin pour la consommation des bestiaux, vingt mencaudées de bled environ à battre et quatre cents gerbes aussi environ, quatre chariots; dans la remise une vielle voiture à usage des religieux, douze cordes de bois et seize cents fagots.

Se trouve dans la cave de la prévôté (les moines fabriquent leur bière eux mêmes) :

22° Dans la cave deux pièces de vin de Bourgogne, deux pièces de vin des Champagnes, cinq à six cents flacons de vin, cinq à six cents flacons vide, quatre pièces de bière forte, quatre pipes de bière commune pour les domestiques et les ouvriers, quatorze pots d'étain tant grand que petit pour distribuer la bière et un broc en bois cerclé de cuivre.

La prévôté vue du pré

La côte 15H7 compléte cet inventaire, par un lot de factures et comptes pour les dépenses de bouches tenus par Dom Ambroise Riche. Nous trouvons au menu poissons de mer et d'eau douce tels merlans, harengs salé, anguille, cabillau, morue, carpe, maquereau; de la viande de boeuf, mouton et porc; des oeufs et du fromage et enfin moutarde, thé, sucre candy, poivre, beurre, vinaigre.

Médecine

Un état pour traitement médicament établit par Georges Bourgeois, chirurgien de la prévôté, donne quelques détails sur les traitements de l'époque : vomitif, saigné, lavement, sel de nitre.

La fin d'une époque

La révolution met fin à la vie de notre prévôté et les moines s'enfuient à Vicoigne.

 
Haspres - Genealegrand
© 2017 - Olivier LEGRAND