L'année 2016 célèbre les 80 ans du front populaire. Faut il voir en cet anniversaire un retour au climat de 1936 ? Les ingrédients sont pourtant présents : crise financière, chômage de masse, paupérisation et fragilisation du salariat, tensions internationales, montée de l'extrême droite, etc...
En pleine crise du chômage, le gouvernement Valls tente de réformer le code du travail. L'histoire débute par un premier tour de vis sur l'assurance chômage. Puis en février 2016, un avant projet de loi, nommé El Khomri est proposé.
Dans la réforme, il est question de porter la durée quotidienne maximum du temps de travail de 10 à 12 heures si un accord collectif est trouvé; de revoir la majoration des heures supplémentaires; de revoir le champ d'application des licenciements (Voila bien un argument de patron de dire que pour faciliter l'emploi, il faut faciliter les licenciements); de plafonner les indemnités prudhommales, etc...
Devant de telles mesures (en faveur du patronat ?), le monde étudiant et le salariat se mobilise via les réseaux sociaux et d'importantes manifestations.
De tels événements, imposent une petite remontée dans le temps, c'est ce que nous vous proposons dans cet article.
» En dépit du traité de Versailles, le parti nazi relance le réarmenent de l'Allemagne au début des années 1930. Le 7 mars 1936, Hitler et ses troupes réoccupe la Rhénanie. Pendant que le Reich se prépare à la guerre, la France fait face à la grève.
1791, La loi Le Chapelier interdit les syndicats.
1864, acquisition du droit de grève.
1874, la loi fixe à 12 ans l'âge minimum pour pouvoir travailler.
1884, Waldeck Rousseau par une loi met fin à l'interdiction des syndicats et fixe leurs domaine de compétence. La présence des syndiocats est interdite dans les entreprises, jusqu'à l'adoption des accords de Grenelle en 1968.
1892, la scolarité devient obligatoire jusqu'à 13 ans.
1906, la charte d'Amiens revendique l'indépendance des syndicats et symbolise la lutte des classes.
1912, la journée de travail est ramenée à 10 heures.
1936, l'école devient obligatoire jusqu'à 14 ans.
1950, création du SMIG.
1958, création d'un premier régime d'assurance chomage dédié aux travailleurs sans emploi de l'industrie et du commerce.
1998, loi sur les 35 heures et apparition de la RTT.
La misère, l'exploitation des ouvriers, la répression des grèves dans la violence est un terrain favorable à l'émancipation des idées socialistes. Dans ce contexte, Jean Jaures, Roger Salengro, Jules Guesde symbolisent la lutte ouvrière dans notre région. Les revendications des ouvriers, naissent souvent après la journée de travail dans l'estaminet du coin.
A la fin du XIX° siècle, les ouvriers peinent à se syndiquer, car les militants sont souvent fichés et mis à l'écart. Toutefois, avec la crise du textile qui s'installe en début de XX° siècle, les ouvriers rejoignent peu à peu le mouvement syndical.
Peu à peu, les syndicats s'organisent et demandent que les lois soient appliquées dans leurs entreprises, comme cette revendication de janvier 1906 :
Voir article année 1909
Voir article année 1911: Une grève sans gréviste !
Le rôle des syndicats :
L'ouvrier tisseur va chercher au patron les matières premières lui permettant de fabriquer ses pièces de tissus. Il reçoit la chaine et la trame (voir article sur le tissage). Le tisseur fabrique alors sa pièce à l'aide de trames qu'il a fait faire à sa femme où à une autre personne à laquelle il à payer une certaine somme, représentant environ 6 francs sur 12 jours, soit 50 centimes par jour (src : Journal La CROIX 29/01/1912). Quand sa pièce est terminée, il la ramène au patron qui ne lui verse qu'un seul salaire. En réalité, le travail réalisé représente deux salaires : celui du tisseur et celui de la trameuse, qui reste dans la caisse du ménage si c'est la femme du tisseur, mais qui passe réellement comme salaire si les trames ont été confectionnées à l'extérieur de la maison. Dans le premier cas, la trameuse à également droit à la retraite ouvrière ?
De 1873 à janvier 1936, la III° République aura compté 99 gouvernements. Dans un tel climat, les institutions et le régime parlementaire sont contestées. Les scandales financiers se multiplient et font la une des journaux. En 1933, l'affaire Stavisky éclate et compromet plusieurs hommes politiques. Dans ce contexte, les manifestations de rues sont quotidiennes. L'ancien président de la République Gaston Doumergue, est appelé a former un gouvernement provisoire. Dans le même temps, Hitler reprend possession de la Sarre et envoi ses troupes en Rhénanie. Mussolini gagne la guerre en Ethiopie et le Général Franco déclenche la guerre d'Espagne.
Cette montée du fascisme favorise le regroupement des partis de gauche. Le PCF, la SFIO (Section Française de l'Internationale Ouvrière) et les radicaux s'unissent au sein d'un rassemblement populaire et donne naissance au Front Populaire. Le 14 juillet 1935, Edouard Daladier, Maurice Thorez et Léon Blum sont au coeur d'une immense manifestation dont le slogan est Travail, Paix, Liberté.
Le 12 janvier 1936, le Front Populaire publie son programme. Le 26 avril 1936, le taux de participation au premier tour de l'élection législative est de 85%. Le 3 mai 1936, le Front Populaire remporte les élections.
Une semaine après la victoire électorale, les grèves et occupation d'usines se multiplient dans presque tous les secteurs de l'économie. Le 4 juin, Léon Blum est chargé de former un nouveau gouvernement, composé pour l'essentiel de socialiste SFIO et des radicaux socialistes. Les communistes ont décliné l'offre d'y participer.
Le 7 juin 1936 débutent à Matignon les négociations entre patronat et syndicat. Le 8 juin, les accords de Matignon sont signés (de nos jours ont les appelle les avantages acquis), ils prévoient :
- l'augmentation des salaires de 7 à 15%
- la liberté syndicale
- le passage au 40 heures de travail hebdomadaire (au lieu des 48 heures), sans diminution de salaire
- la nationalisation des industries de l'armement
- deux semaines de congés payés
Certaines rues de notre village portent encore la mémoire de cette époque du Front Populaire.
Maurice Thorez, secrétaire général du parti communiste, il lance le 11 juin 1936, le célèbre mot d'ordre Il faut savoir terminer une grève dès que satisfaction a été obtenue. La salle des fêtes porte son nom.
Roger Salengro, ministre de l'intérieur et maire de Lille. Fait prisonnier en octobre 1915, alors qu'il portait secours à ses camarades, il est accusé par l'extrême droite d'avoir déserté. Très vite l'accusation est infondée et Salengro innocenté. Le 15 novembre 1936, Salengro est retrouvé mort à son domicile. L'enquête de police conclue à un suicide. Une rue du marais porte son nom.
Ambroise Croizat, ministre du travail sous le Général de Gaulle, Croizat est le fondateur de la sécurité sociale et du système de retraite. Un quartier du village est baptisé de son nom.
Léo Lagrange, secrétaire d'état aux loisirs et aux sports du gouvernement Blum, il impulse de multiples initiatives associatives allant des auberges de jeunesses aux clubs de loisirs. Léo Lagrange, meurt sur le front en 1940. Le stade communal porte son nom.
Marcel Cachin, député, directeur de l'humanité, c'est l'un des piliers du Front Populaire. Une petite rue allant au terrain de football porte son nom.
Jules Guesde, député de Roubaix puis de Lille, il est l'un des fondateurs du SFIO.
En juin 1936, la presque totalité des ouvriers de la commune sont en grève. Rappelons que le chômage n'est pas pris en charge par l'état, mais principalement par les communes. Le conseil municipal prend des mesures pour venir en aide aux grèvistes. Ainsi trois kilos de pain et un kilo de viande sont accordés par personne à la charge des grèviste et par semaine. Plusieurs mesures budgétaires sont prises pour couvrir les dépenses qui découlent de ces grèves, notamment celles relatives aux remboursements des villes qui, comme Denain, ont assuré le ravitaillement des ouvriers de la commune d'Haspres en grève dans les établissements où ils travaillaient, et aussi aux quatre cafetiers voisins des tissages Béra et Herbin à qui il est demandé de servir chaque matin le café aux ouvriers en grève de ces tissages.
Le 18 décembre 1936, Jean Baptiste Marouzé, maire de la commune rend compte des dispositions portant sur l'organisation d'un plan de travaux destinés à combattre et à prévenir le chômage, et signalant que les travaux d'utilité départementale et communale rentrent dans les catégories de ceux à subventionner par l'état. La commune présente deux projets de travaux d'utilité communale, et prend les dispositions permettant leur réalisation.
1 - Construction sur la grande place d'un abri de stationnement pour les usagers des services autobus, et principalement de nombreux ouvriers de la localité qui travaillent dans les centres industriels de Trith, Prouvy, Denain et Anzin et utilisent journellement les services réguliers d'autobus pour se rendre au travail. Cette partie du projet représente un coût de 8.500 francs, et sera construit par l'entreprise Tonnoir d'Haspres.
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L'abri bus en plaque de béton armé, anciennement situé sur la Grande Place fut construit en 1937 dans le cadre du plan travaux contre le chômage. | |
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2 - Construction d'une buanderie au logement de la directrice de l'école maternelle, construction d'un mur de séparation de l'école maternelle avec la propriété voisine, construction d'un trottoir à l'école maternelle et installation du chauffage central dans les logements du personnel enseignant de la dite école. Cette partie du projet représente un coût de 19.978 francs, et sera construit par Valère Cartigny, entrepreneur à Douchy.
En 2016, le libéralisme (ultra) par sa société de consommation à outrance a mis à mal nos valeurs collectives. La mutation du marché du travail, la mondialisation, le culte de la performance (efficience), la flexibilité et de la compétition ont promu l'individualisme.
Nous le voyons dans notre quotidien, l'écart se creuse entre la perception des politiciens et celle du peuple.
Reflechissons un instant aux mots de Daniel Cohen que je cite : Malgré la richesse sans précédent des sociétés occidentales, la croissance se tarit et on est en train de tout rogner : nos dépenses de santé, d'éducation, de protection sociale, tout ça pour maintenir la flamme d'une croissance du pouvoir d'achat dont les effets ne seront qu'éphémères. Jusqu'où sommes nous prêts à aller pour sacrifier le progrès social du siècle passé au nom d'un progrès matériel devenu évanescent ?
Faut il pour autant rester sans rien faire ? La réponse est non. Comme nos aïeux, la vie continue et nous avons tous un rôle a jouer dans l'amélioration de nos conditions de vie.
Sources utilisées :
- Archive de la commune d'Haspres