Bataille de la Sabis - 2
 
Bataille de la Sabis Bellum Gallicum

Suite a son article inédit sur la bataille de la Sabis (57 avant J.-C.), Monsieur André Bigotte, continue à nous livrer ses commentaires sur cette mystèrieuse bataille.

La question des haies nerviennes

Le récit de la bataille de la Sabis est établi par César selon une rigoureuse chronologie : il ne s’autorise qu’un seul retour en arrière (la prise du camp gaulois, II,26) et qu’une ou deux anticipations (l’épisode des espions belges II,17, et celui des Trévires colportant la nouvelle de la défaite romaine II,24). Le déroulement du récit est conforme à la réalité des opérations, qu’il s’agisse d’événements, de descriptions, ou d’incises explicatives. Ainsi la question des haies nerviennes, dans son inscription temporelle, joue-t-elle un rôle essentiel pour la localisation du site de la bataille. Reprenons les choses selon l’ordre du récit :

1°) les haies constituent, selon César, un système de défense et de protection des Nerviens à l’encontre des ennemis qui tenteraient de pénétrer leur territoire (II,17). Elles sont donc nécessairement disposées à la frontière de la Nervie. Les limites des pays gaulois sont mal définies, on peut néanmoins considérer la vallée de l’Escaut comme la zone frontalière Ouest de la Nervie.

2°) les haies ne sont évoquées qu’à la fin du 3e jour de marche. Progressant sur la route d’Amiens à Bavay, les Romains ont dû rencontrer ces haies quelques kilomètres avant d’atteindre l’Escaut. Les légions suivent cette route, mais débordent sans doute de part et d’autre sur les champs, du moins l’infanterie légère qui protège l’armée sur ses flancs (des fouilles ont mis à jour certains tronçons de cette voie sur une largeur de 6 mètres environ).

3°) les éclaireurs et les centurions envoyés par César pour choisir l’emplacement du camp romain (début du § II,17) ont dû également, au soir du troisième jour (avant la nuit au cours de laquelle les espions informent les Nerviens : séquence suivante, même § II,17), se heurter à ces haies défensives, sur quelques kilomètres entre l’Escaut et le futur camp. Ils en auront informé César à leur retour (fin du § II,17 qui conclut sur ce problème des haies : « Notre armée étant embarrassé par ces obstacles » : elle les a en effet déjà rencontrés deux fois sur sa route, comme on vient de le voir), en même temps qu’ils lui décriront le lieu du champ de bataille (§ qui suit immédiatement, II,18). Il ne serait peut-être pas inintéressant, à cet égard, de distinguer, dans le texte de César, les passages qui impliquent celui-ci directement (en tant que sujet des actions, par exemple), et ceux qui concernent davantage des éléments de son armée (soldats, centurions, cavalerie, etc.).

4°) puis sont évoqués, toujours dans le respect de la chronologie des faits, la nouvelle disposition des légions en marche à la rencontre de l’ennemi, l’engagement des combats par la cavalerie, et l’arrivée des légions qui construisent le camp (II,19). Les haies seront de nouveau mentionnées pour la gêne considérable qu’elles procurent aux soldats sur le champ de bataille, donc entre le camp romain et la Sabis : elles formeront un obstacle pour la vue, empêcheront l’unité de commandement et d’action (II,22), et contribueront hautement aux difficultés éprouvées par les Romains pour vaincre leurs ennemis.

Bref, les haies nerviennes seraient un indice à ne pas négliger dans le débat relatif au trajet des légions romaines et à la localisation du site. Il ne s’agit pas d’un détail isolé, mais d’une question intégrée à un ensemble organisé, une composante capable d’intervenir de façon décisive dans l’acceptation d’une hypothèse ou le rejet d’une autre.

Je voudrais préciser mon opinion : les haies que rencontre César en entrant en Nervie sont davantage un constituant d’appareil défensif, nécessairement disposé aux frontières, plutôt qu’un élément de paysage bocager, inoffensif, exclusivement destiné à délimiter des champs mitoyens à l’intérieur du pays, ou enclore le bétail. La Nervie ne possédant aucun relief important, les haies épineuses forment alors une ligne de défense efficace en rase campagne, espèce de système végétal de fortification. Revenons sur la séquence du texte latin (Guerre des Gaules, II-17) :

“ (...) quo facilius finitimorum equitatum
pour arrêter plus facilement la cavalerie de leurs voisins
si praedandi causa ad eos venissent, impedirent,
s’ils venaient faire des ravages chez eux,
teneris arboribus incisis atque inflexis crebisque
ils coupaient et courbaient de jeunes arbres
in latitudinem ramis enatis
dont les branches poussaient horizontalement
et rubis sentibusque interjectis effecerant
et plaçaient entre elles des ronces et des épines,
ut instar muri hae saepes munimenta praeberent,
ces espèces de haies semblables à des murs, formaient des remparts
quo non modo non intrari, sed ne perspici quidem posset »
au travers desquels on ne pouvait passer ni même voir.
His rebus cum iter agminis nostri impediretur (...). “
Cela embarrassait la marche de notre armée (…).

On le voit clairement, il s’agit bien d’obstacles (arrêter la cavalerie des voisins ; ronces et épines ; murs ; remparts infranchissables ; embarrassait la marche) dont la vocation essentielle est de dissuader toute personne indésirable d’entrer dans le pays, ou d’empêcher l’intrusion d’envahisseurs. César précise d’ailleurs que ces haies suppléent la carence en cavalerie dont souffre l’armée nervienne : ce système de protection serait donc une spécificité de la Nervie.

Même si les haies ne sont pas absolument infranchissables (les légions en marche éprouvent de l’embarras pour les traverser : impediretur, II-17), elles rempliront une grande partie de leur vocation, en provoquant une gêne intensive pour les légionnaires sur le champ de bataille et en contribuant ainsi aux énormes difficultés rencontrées par César pour vaincre les Gaulois (II-22) : impossibilité d’établir l’armée romaine selon les règles ordinaires du combat, manque d’unité de commandement, disjonction et atomisation des légions, défaut de vue à distance, etc. En revanche, il ne semble pas que les Romains aient éprouvé beaucoup de difficultés pour traverser l’Escaut, fleuve nervien utile aux échanges commerciaux, et dont la vallée est une zone frontalière, mais impuissante à arrêter d’éventuels conquérants.

Les haies vives nerviennes sont probablement constituées d’arbrisseaux épineux (à aiguillons, piquants, spinules) adaptés aux terrains calcaires du Hainaut : rosier sauvage ou églantier (rosa eglanteria), aubépine (alba spina), prunellier sauvage (prunus), épine-vinette (berberis), néflier (pyracantha). Mais mes compétences en botanique s’arrêtent là… Et que reste-t-il aujourd’hui de ces dispositifs ? (technique encore utilisée en Avesnois ? – mais, le cas échéant, dans un but évidemment non militaire…).

Suggestions de réponses à quelques questions

Il est donc entendu, selon le récit de César (cf. forum Histoire d’Haspres > Bataille de la Sabis > Point de départ des légions romaines), que les événements qui se déroulent entre le départ d’Amiens et l’issue du combat, et lisibles dans le texte original de façon absolument linéaire, peuvent être reconstitués selon le schéma suivant, apte à mettre en lumière certains paramètres majeurs, telle la question des haies nerviennes, ou celle de la position du camp romain (quelques ellipses ont été suppléées à l’aide de la logique du récit) :

1. [ellipse de César, mais conjecture fondée : après la soumission sans conditions des Ambiens, César et ses légions installent leur QG à Samarobriva, Amiens sur la Somme (Guerre des Gaules, II-15)],

2. là, César mène une enquête sur le caractère et les mœurs des Nerviens, peuple voisin des Ambiens (II-15),

3. [ellipse de César, mais conjecture fondée : puis les légions se mettent en route en empruntant la chaussée Amiens-Bavay qui traverse l’Ambianie],

4. elles marchent pendant trois jours en direction de la Nervie (II-16),

5. [ellipse de César, mais conjecture fondée : elles traversent le territoire ambien et une petite portion au sud de celui des Atrébates. Elles font étapes à Albert, Bapaume et enfin à Cambrai. Elles se trouvent alors dans la vallée de l’Escaut, possible zone frontalière à l’ouest de la Nervie],

6. au camp d’étape de Cambrai, César apprend par les prisonniers, qu’il se trouve à 15 km de la rivière Sabis (II-16),

7. il a connaissance aussi de la coalition des quatre peuples belges qui sont cantonnés derrière la Sabis, où ils attendent les Romains (II-16),

8. il envoie des éclaireurs et des centurions repérer un site propice pour l’établissement du camp (II-17). Remarque : César, à la fois personnage et narrateur, est ici le sujet des énoncés concernant des faits dont il est directement l’auteur : il mène l’enquête sur les Nerviens, il interroge les prisonniers et en reçoit des renseignements utiles, il envoie en avant des éclaireurs et des centurions,

9. la nuit, alors qu’il est encore à Cambrai (ou dans les environs), des espions belges vont informer les Nerviens de la disposition des légions en marche et leur suggère un plan d’attaque (II-17),

10. [ellipse de César, mais conjecture fondée : les éclaireurs et les centurions envoyés en avant pour choisir l’emplacement du camp reviennent à Cambrai et font part à César de l’embarras qu’ils ont éprouvé en traversant les haies épineuses couvrant le futur champ de bataille qu’ils viennent de choisir]. César relate ce moyen de protection particulier et les difficultés qu’il engendre (II-17). Remarque 1 : dans ces deux dernières séquences (les espions, les haies) César s’efface comme sujet de l’énoncé, il rapporte les informations que lui transmettent ses soldats et ses lieutenants : comme on le sut plus tard…, Notre armée étant embarrassée dans sa marche (II-17). Remarque 2 : les haies nerviennes évoquées ici représentent pour les légionnaires un élément opposant qui, comme nous l’avons vu, entravera leur action sur le champ de bataille et nuira à la conjonction des légions. Au contraire, la forêt dans laquelle se cachent les Gaulois jouera pour ceux-ci le rôle d’élément auxiliaire qui les mettra à l’abri des attaques et permettra le rassemblement de leurs troupes (augmentant leur assurance par la solidité de leur formation, II-19),

11. les éclaireurs et centurions font également à César un rapport détaillé et précis des lieux, avant que les légions arrivent sur le site de la future bataille (II-18). Remarque : ici non plus César n’endosse le statut d’acteur principal ; il cite les paroles de ses éclaireurs, au style indirect libre : la configuration du terrain que les nôtres avaient choisi …, on ne voyait que quelques postes de cavaliers (II-18),

12. [ellipse de César, mais conjecture fondée : à hauteur de Cambrai, les légions traversent l’Escaut], puis avancent en direction du futur camp (II-19). Remarque : la narration donne à nouveau l’initiative à César pour des événements dont il est le protagoniste : il intègre sa place précise dans la récente disposition des légions, et rappelle les résolutions qu’il y fait appliquer : César suivait sa cavalerie à peu de distance…, il avait réglé sa marche…, il avait pris les dispositions qui lui étaient habituelles (II-19),

13. la cavalerie, qui est en tête de l’armée romaine, arrive la première sur le champ de bataille, avec les frondeurs et les archers, et commence à engager les hostilités (II-19). Remarque : César n’entre pas encore en jeu, il mentionne l’action de ses soldats, décrite selon le point de vue d’un témoin direct, mais non d’un acteur ou d’un héros : Notre cavalerie passa la rivière…, les nôtres n’osaient pas les poursuivre…, les six légions entreprirent de fortifier le camp…, aux prises avec nous (II-19),

14. les Gaulois déboulent de la forêt et se précipitent sur les cavaliers qui sont battus. Puis ils marchent sur les légions occupées à la construction du camp romain (II-19). Remarque : César ne se manifeste toujours pas dans la narration, il n’intervient pas encore directement, il ne prendra le commandement des opérations qu’aux paragraphes suivants, bien que de façon négative ou restrictive : César avait tout à faire en même temps (…), mais l’ennemi qui approchait rendait impossible une grande partie de ces mesures (II-20), César se borna à donner les ordres indispensables (II-21).

15. au cours de la bataille, le rôle de César comme protagoniste des événements qu’il raconte est très variable. A l’aile gauche, il harangue brièvement les soldats et donne le signal du combat (II-21). Au centre, il constate seulement l’avancée des troupes romaines (II-23). A l’aile droite, il prend un bouclier et encourage les soldats, fait desserrer les rangs et s’adosser les deux légions (II-25, II-26). Dans la phase finale de la bataille (II-26, II-27), César s’absente délibérément de la narration, pour céder la place à deux autres acteurs importants : Labiénus avec sa légion, et les deux légions d’arrière-garde. C’est à eux qu’appartient sans conteste l’avantage de la victoire.

En somme, César est plus le narrateur omniprésent du récit, que le personnage irrégulièrement actif des événements : son texte multiplie les occurrences dans lesquelles il se contente d’ordonner des commandements, encore est-ce le rituel exercé habituellement par le chef des armées : envoyer des éclaireurs (II-17), former l’ordre de marche (II-19), haranguer les troupes et donner le signal du combat (II-21), corriger l’action des soldats (II-25). Dès le début des combats, on vient de le constater, César n’a pas la maîtrise des opérations ; il la retrouvera un peu au cours de la bataille, pour la perdre définitivement à la fin du conflit. En revanche, capitale est l’aide permanente qu’il reçoit de ses lieutenants et de ses soldats, et qui aboutira à de notables résultats : César se borna à donner les ordres indispensables (II-21), les légats n’attendaient pas les ordres de César, mais prenaient d’eux-mêmes les dispositions qu’ils jugeaient bonnes (…), les soldats, exercés par les combats précédents, pouvaient se dicter à eux-mêmes la conduite à suivre (II-20). L’ultime démonstration de cette carence du général romain est assénée par l’opération décisive des trois dernières légions (nous allons y revenir).

S’impose ici la sixième question de notre analyse (voir les cinq précédentes sur le forum signalé), celle relative au lieu d’implantation du camp romain.

Il semble logique de penser que les légions en marche vers la Nervie empruntent une voie de communication déjà existante, plutôt que de passer à travers champs, en l’occurrence à travers ronces et haies épineuses, ou à travers la forêt des Ardennes, épaisse et dangereuse. La route Cambrai-Bavay, actuelle D.114, existe probablement au moment de l’arrivée des armées romaines (les Gaulois ne sont pas des sauvages ou des rustres, ils possèdent des cités importantes et des routes bien entretenues), elle permet aux légions de progresser facilement, rapidement et directement.

Après avoir franchi l’Escaut, les légions traversent sans difficulté les gués de Naves et de Rieulx, et approchent de la rivière. Les historiens et chercheurs qui ont, à juste titre, privilégié la Selle au détriment de la Sambre ou de l’Escaut, ont placé le lieu de la bataille et du camp romain aux abords de Solesmes (Bombard en 1902, Lévy en 1924, etc.) ou de Saulzoir (Arnould en 1941, Turquin en 1955, etc.), c’est-à-dire sur la droite de la route d’accès Amiens-Bavay. Nous croyons au contraire qu’il faut situer le camp et la bataille sur la gauche de cette route.

Les informations recueillies par les prisonniers et les éclaireurs (II-16, II-18) fournissent sans doute à César le lieu exact où sont cantonnées les troupes gauloises, et la position précise de leur camp fortifié. Cependant, les Romains n’ont pas la possibilité de choisir eux-mêmes le site de la rencontre ; ils doivent se contenter, à partir de l’endroit où sont rassemblés les Gaulois, de retenir le meilleur emplacement possible pour y établir le camp (II-18, le texte ne dit pas : pour y disposer le champ de bataille), en sachant que les troupes devront se ranger selon la nature du terrain et la pente de la colline (II-22), gênées de surcroît par les haies épineuses et la forêt dans laquelle se cache l’ennemi (II-17, II-18). Ce sont probablement là d’ailleurs les seuls moyens de défense « naturels » dont disposent les Gaulois, dans un pays aussi plat et découvert.

Les légions quittent alors leur route d’accès à hauteur de Villers-en-Cauchies, et prennent au nord, vers le village actuel d’Avesnes-le-Sec (qui n’existe probablement pas à cette époque : aucun vestige d’occupation celtique, pré-romaine, n’y a été découvert). Le détail de la bataille fera l’objet d’une analyse ultérieure. Néanmoins, il faut ici se projeter à l’ultime phase des combats, au moment où l’aile droite romaine affronte l’armée des Nerviens. A cet endroit, trois arguments, issus de la lecture attentive du texte de César, étayent solidement la thèse d’un site sur la gauche de la route Amiens-Bavay :

I. La fuite des bagagistes. L’aile droite romaine est en très mauvaise posture, César est sur le point de perdre la bataille : la situation était critique (II-25). Les Nerviens montent vers la porte avant du camp, dégarnis de soldats romains (II-23), la forcent et pénètrent à l’intérieur du castrum (II-24). Les cavaliers repoussés par les Atrébates au début du combat et qui veulent se replier dans le camp se trouvent nez à nez avec les Gaulois et fuient dans une autre direction (II-24) : ils font demi-tour et avertissent Labiénus de la situation catastrophique (II-26). Pour leur part, les bagagistes qui arrivent sur les lieux par la route Amiens-Bavay, voient la déroute des armées romaines et s’enfuient également (II-24) : ils rebroussent chemin et apprennent aux deux légions d’arrière-garde qui les suivent l’urgence et le danger de la situation (II-26). Ces deux événements (- les bagagistes voient la détresse de l’aile droite, - ils en informent les deux légions) ne sont possibles que si la route d’arrivée se trouve du côté du flanc droit du camp romain, c’est-à-dire du côté des troupes nerviennes (et non pas atrébates). Autrement dit : si le camp romain est implanté à gauche de cette route.

II. L’intervention de la légion de Labiénus. Sur le champ de bataille, les haies nerviennes empêchent l’armée romaine de procéder selon les règles habituelles du combat (II-22) : les légions sont trop disjointes pour que César puisse leur faire adopter la formation de combat dite acies triplex, ni leur donner des ordres collectifs (II-22). Au moment où les Gaulois attaquent, César ne se trouve pas au centre du champ de bataille comme cela aurait dû être, mais par hasard (II-21) sur le côté gauche, d’où il passe à l’aile centrale, et enfin à l’aile droite. Là, il encourage les légionnaires en situation précaire, donne des ordres pour résister à l’ennemi, etc. (II-25, II-26). Il est encore à l’aile droite quand les deux légions d’arrière-garde se montrèrent au sommet de la colline (II-26). Ici, la narration ne met pas en scène César en personne, parce que le général romain reconnaît sans ambages la pertinence et l’efficacité de l’intervention des légions qu’il reçoit in extremis en secours, il accepte de n’être pas tenu responsable de la victoire finale et d’en imputer l’avantage à cet ultime et inespéré concours : L’arrivée des trois légions produisit un tel changement que…(II-27). Pour que les deux légions qui escortent les bagages de l’armée puissent être aperçues au sommet de la colline par César et les soldats de l’aile droite (II-26), il est nécessaire que la route d’arrivée soit de ce côté-là du champ de bataille, autrement dit : que le camp romain soit implanté à gauche de cette route.

III. L’action salvatrice des deux dernières légions. Les deux légions qui suivent et assurent la protection des bagages de l’armée, informées par les porteurs en fuite, arrivent au pas de course sur le lieu de la bataille. Leur intervention est d’une efficacité et d’une aisance telles que César ne prend pas la peine d’insister sur le détail des combats qui terminent le conflit, et expédie le récit de la victoire finale en un seul paragraphe (II-27). Les Nerviens envahissent pourtant le camp romain en s’y introduisant par la porte pretoria (porte sur le côté antérieur du camp, face à l’ennemi) qui est alors démunie de soldats romains puisque l’aile centrale est aux prises avec les viromandues sur les bords de la Selle (- remarquez la progression dans l’invasion du camp : les autres se portaient vers le sommet du camp, II-23 ; les ennemis montaient en face de nous sans relâche, II-25 ; les ennemis étaient dans le camp romain, II-24). D’autres Nerviens prennent en tenailles les deux légions de l’aile droite et sont sur le point de remporter la bataille (les uns entreprirent de tourner les légions par leur droite, II-25 ; leur pression augmentait sur les deux flancs, II-25). Mais rien dans le texte de César ne laisse supposer que les Nerviens aient atteint la porte dextra (sur le côté droit du camp romain, toujours défendu par les soldats de l’aile droite), ni encore moins qu’ils l’aient franchie pour pénétrer dans le camp. La rapidité, la facilité et l’efficacité de l’intervention de ces deux légions ne peut s’expliquer que si leur arrivée se fait par une route qui se trouve du côté du flanc droit du camp romain, c’est-à-dire du côté où a lieu le redoutable conflit opposant les troupes nerviennes aux légionnaires. Autrement dit : si le camp romain est implanté à gauche de la route Amiens-Bavay.

Une « erreur » de César parle-t-elle en faveur de l’Escaut ?

Première partie

Comme la thèse de la Sambre (pour traduire le vocable latin Sabis lors de la campagne contre les Belges) est difficile à admettre puisqu’elle suppose que les Nerviens aient laissé traverser presque tout leur territoire par les Romains avant de combattre ceux-ci, l’idée a germé chez certains historiens que César avait commis par deux fois une erreur de topographie et de typographie, en écrivant Sabis au lieu de Scaldis.

La faute aurait été commise une première fois à l’occasion du récit de la campagne contre les Nerviens de Boduognatos (Guerre des Gaules, II, 16 & 18) : cette présomption porte naturellement le lieu de la bataille sur les bords de l’Escaut. C’est l’opinion, par exemple, d’André Catulle, poète et historien belge du XVIIe siècle, qui assure qu’un manuscrit ancien de la Guerre des Gaules portait le mot rectifié Scaldim et non pas Sabim. Dès lors, faut-il croire que l’erreur ait été commise par César, ou par un copiste, ou par l’auteur du manuscrit mentionné par Catulle ? D’autres questions seraient à examiner : de quand date ce très ancien manuscrit ? quel crédit peut-on lui accorder ? a-t-il été confronté dans son ensemble à d’autres copies manuscrites qui nous ont transmis le Bellum Gallicum ? L’Escaut a eu la préférence de nombreux historiens, dont André Leglay, « Nouvelles conjectures sur l’emplacement du champ de bataille où César défit l’armée des Nerviens », in Mémoires de la Société d’Émulation de Cambrai, séance publique du 13 août 1831, sous la présidence de M. Leroy, avocat, Cambrai, 1833, pp. 81-98.
Pour cette occurrence concernant la bataille de la Sabis, nous avons développé dans ce forum assez d’arguments en faveur de la Selle, pour nous croire exempté de fournir d’autres explications.

Une seconde erreur, inverse celle-ci, aurait été commise par César, dans le récit de l’expédition contre les Éburons d’Ambiorix, écrivant Scaldis c’est-à-dire l’Escaut, au lieu de Sabis traduit ici encore par Sambre (Guerre des Gaules, VI, 33). Méprise réitérée de César ? ou rectification proposée postérieurement par des candidats à la thèse de l’Escaut ? et alors pourquoi ne pas relire toute la Guerre des Gaules en altérant d’autres noms ou en relevant d’hypothétiques fautes ? C’est d’ailleurs sur la base d’une telle supposée erreur que Leglay fonde, de façon très expéditive, son hypothèse de l’Escaut (op. cit.).
Pour cette occurrence relative à la Sambre, nous voudrions apporter une interprétation qui ne repose pas sur une erreur ou une méprise de la part d’un César faussaire, ou d’un copiste inattentif, ou d’un glossateur incompétent. César écrit : ad flumen Scaldis, quod influit in Mosam, extremasque Arduennae partes ire constituit : vers l’Escaut, qui se jette dans la Meuse, et de gagner l’extrémité des Ardennes (VI, 33). Evidemment, l’Escaut ne se jette pas dans la Meuse, mais divisé en deux branches, dans la Mer du Nord. C’est la Sambre qui se jette dans la Meuse à Namur.

Pourtant, Dieudonné, dans sa « Statistique du Département du Nord », 1805, t. I, p. 22, écrit que l’Escaut se divise en deux branches, dont l’une va se jeter dans la mer de Flessingue, et l’autre concourt à former le lac connu sous le nom de « Bierbos » (petite méditerranée), et va se réunir à la Meuse à Dort. Le « Dictionnaire des mots et des choses », par Larive et Fleury, Paris, 1888, t. I, p. 595, précise : Autrefois, il se divisait [vers Doël] en deux grands bras : l’Escaut oriental et l’Escaut occidental. Le premier est aujourd’hui fermé par le viaduc de Berg-op-Zoom, et ce qui en reste communique avec la Meuse par des canaux naturels et par le passage de Sloe avec l’Escaut occidental ; ce dernier se dirige vers l’O., forme par ses canaux l’archipel de la Zélande et se jette dans la mer du Nord au-dessous de Flessingue. Le « Dictionnaire de géographie ancienne et moderne » de Meissas et Michelot, Hachette, 1847, p. 852, ne dit pas autre chose : [l’Escaut] entre en Hollande au-dessous du fort de Batz, et là, se partage en deux grandes branches, l’Escaut oriental passe devant Berg-op-Zoom, se réunit à la branche méridionale de la Meuse, pour former les îles de Tholen et de Schouven, et fint au-dessous de Zierikzée, par une embouchure de 10 km. L’Escaut occidental forme, par de nombreux canaux, les îles d’Axel et de Cadsant, et fint au S.-O. de Flessingue. Seule cette branche occidentale subsiste aujourd’hui, qui rejoint la Mer du Nord près de Flessingue (Pays-Bas).

Louis Dewez, dans un article publié dans les « Nouveaux mémoires de l’Académie royale des Sciences et Belles-lettres de Bruxelles », t. II, 1822, pp. 263-266, donne une documentée et convaincante démonstration : La Meuse, au temps de César, communiquait avec l'Escaut oriental par un lit différent de son lit actuel, ou, pour m'expliquer mieux, par un second bras. Cette jonction se faisait aux environs de l'endroit où est actuellement la ville de Berg-op-Zoom, devant l'île de Tholen, ou peut-être un peu plus haut au voisinage de celui où est le fort de Lillo.
Le Rhin, dit Tacite, se sépare en deux fleuves, à l'entrée de l'île des Bataves, au point où a été bâti le fort de Schenck ; l'un qui conserve son nom et sa rapidité, se précipite dans l'Océan ; l'autre, plus large et plus tranquille, prenait le nom de Vahal, qui, ayant pris celui de Meuse, se jette dans l'Océan, par une immense embouchure. Rhenus apudprincipiagri Batavi velut in duosamnes dividitur ; servatque nomen et violentiam cursus quà Germaniam prœvehitur, donec Oceano misceatur ; ad Gallicam ripam latior et placidior adfluens, verso cognomento Vahalem accolœ dicunt : mox id quoque vocabulum mutat Mosâ flumine, ejusque immenso ore eumdem in Oceanum effiinditur (Annales, livre 2, chap. 6). C'est là le principal bras de la Meuse. Mais Ptolomée en désigne un second, qui est la branche occidentale, et qui, réunie à l'Escaut , se repliait vers le couchant et se rendait dans l'Océan, près de l'endroit où est la ville de l'Ecluse. Ce géographe ne donne à l'Escaut d'autre sortie que dans ce bras de la Meuse.
Pline, qui, conduisant l'Escaut depuis sa source jusqu'à l'Océan, en fait la séparation entre la Belgique Gauloise et la Belgique Germanique, donne à l'Escaut l'embouchure que Ptolomée attribue à la Meuse. Si, au premier aspect, ces deux géographes paraissent être en contradiction, il est facile, ce me semble, de les accorder, Ptolomée s'attachant à la Meuse, et Pline à l'Escaut, conduisent, le premier, la Meuse vers l'occident ; le second, l'Escaut vers le Nord ; l'un prétend que la Meuse se rend dans l'Escaut, et l'autre, que c'est au contraire l'Escaut qui se jette dans la Meuse ; mais le fait est toujours que les deux fleuves se rencontraient au même point.
César était donc fondé à dire que l'Escaut coule dans la Meuse.
L’article conforte sa cause par un dernier argument : la forêt des Ardennes, mentionnée dans la Guerre des Gaules (VI, 33 : extremasque Arduennae partes), était précisément à l’endroit où le second lit de la Meuse faisait sa jonction avec l’Escaut, aux confins du Brabant.

Beaucoup d’autres références fournissent des témoignages similaires, qui prouvent que la géographie des lieux, à l’époque de César et jusqu’au XVIe ou XVIIe siècle, n’était pas celle d’aujourd’hui : il existait autrefois une communication entre la Meuse et l’Escaut vers leur embouchure. Aussi, ne peut-on parler, en la circonstance, d’une indication erronée de César, mais à tout le plus, d’une information imprécise ou insuffisante. Si certains indices géographiques donnés par César dans son Bellum Gallicum sont erronés, c’est qu’il s’est fié aux cartes mal dressées qu’il avait sous les yeux, et il n’a pas fait d’observations personnelles qui lui permissent de rectifier les erreurs des géographes de son temps (L.-A Constans, Guerre des Gaules, Hachette, 1929, p. XL). De leur côté, si des copistes ou des commentateurs ont signalé ou corrigé une « erreur », c’est de toute évidence de façon souvent arbitraire voire inconvenante, car ce sont eux qui se trompent, et non César : comme la Sambre se jette dans la Meuse, ils n’ont pas examiné plus avant la question et ont substitué la Sambre à l’Escaut. A moins qu’il s’agisse d’une erreur volontaire, commise dans le seul but de renforcer la thèse de la bataille sur l’Escaut ?

Quant à la traduction de Sabis par Sambre, la dérivation phonétique semble impossible, et l’ancien nom de la Sambre était Samara, puis Samera et Sambra (voir à ce sujet l’étude de M.-A. Arnould publiée en 1941).

Seconde partie

Pour situer un peu plus exactement la perspective de notre analyse, nous voudrions épingler certains repères aptes à appuyer notre théorie que la Sabis est la Selle, et que le récit de César en est le témoignage le plus probant.

1. Repère toponymique. César, par deux fois, cite la Sabis comme le fleuve à proximité duquel s’est déroulée la bataille. D’une part, il convient d’emblée d’éliminer l’hypothèse d’une « erreur » de César, même si des copistes inavertis ou des commentateurs faussaires ont pu tromper certains historiens. D’autre part, les lois de la phonétique historique, et les documents d’archives concernant Douchy et Noyelles, autorisent à établir de façon quasi indiscutable la dérivation du toponyme selon la suite Sabis > Savis > Save > Seve > Sewe > See > Seelle > Selle

Cette seule considération linguistique devrait suffire à convaincre que la Sabis est la Selle, et non l’Escaut ou la Sambre, qui portaient respectivement, au temps de la conquête romaine, les noms de Scaldis et Samara.
Mais il est nécessaire d’ajouter à la démonstration un autre paramètre, lié plus étroitement à la logique de la bataille :

2. Repère stratégique. Ce sont les Gaulois qui choisissent le lieu de la rencontre et non les Romains : tous les Nerviens avaient pris position de l’autre côté de la rivière et y attendaient l’arrivée des Romains (édition L.-A. Constans, II, 16). Les éclaireurs ne désignent que l’emplacement exact du camp, par rapport aux positions de l’ennemi et à la configuration du terrain (II, 18). Sans doute l’Escaut est-il le fleuve-frontière qui délimite la Nervie, mais il ne semble pas jouer un rôle très défensif : entre ce fleuve et les Gaulois, le territoire nervien est protégé par un quadruple appareillage défensif naturel :

- d’abord et surtout, par des haies épineuses qui gênent la progression des armées de César (II, 17), barrent la vue (II, 17), interdisent la liaison entre les légions (II, 22), et empêchent l’unité de commandement (II, 22). Les Gaulois, en revanche, jouissent d’une protection maximum (grâce aux bois et aux haies, II, 17), d’une bonne liaison entre les unités de leurs troupes (II, 19) et d’une formation solide (II, 19) ;

- ensuite, par la rivière elle-même qui représente sans doute l’obstacle le moins efficace pour les Romains et l’élément défensif le moins performant pour les Gaulois (nous allons y revenir) ;

- aussi bien, par une portion de colline découverte sur deux cents pas entre la rivière et les bois où sont cachés les Gaulois (II, 18). Sur cette bande de terrain nu, dont on n’a pas toujours soupçonné l’intérêt dans l’économie de la bataille (bien qu’il ne soit pas pensable que César, par deux fois, ait mentionné ce détail s’il ne le jugeait pas de quelque importance), le combat tourne à l’avantage des Gaulois : ils y défont la cavalerie et l’infanterie légère romaines au début de l’affrontement (II, 19). Plus tard, cette zone découverte constituera une aire dangereuse pour les Romains qui, après avoir passé la rivière, progressaient sur un terrain qui ne leur était pas favorable (II, 23) ;

- enfin, par la forêt qui couronne le sommet de la colline et s’étend sur presque tout le territoire nervien (VI, 29). Dans ces bois impénétrables à la vue (II, 18) et remplis de Gaulois, les troupes romaines n’osent pas s’aventurer (II, 19). Seules les deux légions de Lambiénus traversèrent une partie de cette forêt, après avoir défait et dispersé les Atrébates, et pendant que les autres Gaulois sont sur le champ de bataille (II, 23).

Cette disposition, voulue par les Gaulois, impose le site de la bataille autour de la Selle, et exclut l’Escaut, fleuve limitrophe de la Nervie, dont l’hypothèse ne s’adapterait pas au concept des haies défensives disposées nécessairement à la frontière du pays des Nerviens puisqu’elles devaient faire obstacle à la cavalerie de leurs voisins, dans le cas où ils viendraient faire des razzias chez eux (II, 17), mais installées incontestablement sur leur territoire, puisqu’elles sont une spécialité nervienne. Ces haies, qui jouent un rôle primordial dans le déroulement de la bataille, sont donc implantées derrière l’Escaut (sur sa rive droite), et s’étendent jusqu’à la Sabis, sur le terrain où les Romains établissent leur camp.

Tout au long de la narration proprement dite, aucune caractéristique n’est fournie sur la rivière Sabis (flumen, II, 16, 18, 23, 24, 27), le texte parle de la colline ou de la pente (collis, plusieurs occurrences : II, 18, 22, etc.), mais jamais des berges (ripas, une seule référence, à la fin du récit : II, 27), et rien de la qualité des différentes phases de la confrontation n’est déterminé par les spécificités topographiques de la rivière. En effet, ce n’est pas ce cours d’eau aussi large et escarpé soit-il, qui effraie les Romains (et de surcroît, son niveau d’eau est signalé très bas, comme pour en minimiser l’importance), et quand ils se décideront à le franchir, ils n’éprouveront aucune difficulté liée à son caractère : ils le traversent une première fois avant l’engagement du combat (II, 19), une deuxième fois après avoir mis en déroute les Atrébates (II, 23, 24), une troisième fois au moment de porter secours à César (II, 26). Les Gaulois non plus ne semblent ressentir d’embarras particulier à le passer : César n’est pas surpris de la vélocité et de l’aisance des Gaulois à traverser une rivière difficile à franchir (parce qu’elle serait large et profonde, par exemple), mais plutôt de leur promptitude à engager le combat alors que les Romains sont seulement en train de construire le camp (II, 17), et qu’ils ne sont pas prêts pour combattre (II, 19, 20, etc.).

La Sabis fait partie du système de protection et de défense du territoire nervien, mais ni la largeur de sa vallée, ni la hauteur de ses berges ne constituent un obstacle majeur pour les deux armées : elle joue un rôle certes indispensable, mais moindre que les haies épineuses, que la bande de terrain découvert, et que la forêt épaisse.
Mais puisqu’il s’agit d’un récit à la fois historique et rhétorique, il ne serait pas séant d’en ignorer la dimension oratoire :

3. Repère rhétorique. A la fin du récit (II, 27, 28), le ton change : il ne s’agit plus de décrire, objectivement, les diverses phases de la bataille, mais, de façon plus subjective, de rendre hommage au courage dont a fait preuve l’ennemi et, conséquemment, par sous-entendu, d’insister, d’une part, sur le mérite des Romains venus à bout d’une armée aussi déterminée, et d’expliquer, d’autre part, pourquoi César s’est trouvé un moment dans une situation critique. La narration repose alors sur plusieurs séquences emphatiques et allusives :

- la rivière dont le texte n’a rapporté jusqu’ici aucune caractéristique, est maintenant, par une exagération toute rhétorique, une rivière très large à la berge fort élevée (II, 27). César, pour couvrir les erreurs de jugement et les imprudences dont il s’est rendu coupable et qui faillirent lui coûter une défaite, accuse sans vergogne la configuration naturelle du site, qu’il n’a d’ailleurs pas choisi : les troupes s’étaient rangées selon la nature du terrain, plutôt que selon les règles de la tactique usuelle… et que les haies très épaisses, … aussi les chances étaient-elles trop inégales, etc. (II, 22). De leur côté, les Nerviens ont osé franchir une rivière très large (II, 29) : César laisse ici entendre que les Romains ont montré le même courage au début des hostilités, quand ils ont poursuivi et défait les Atrébates (ils n’hésitèrent pas à passer eux-mêmes la rivière, II, 23), mais que plus tard, s’ils n’en ont pas fait autant, c’est par prudence (parce qu’ils se seraient trouvés ensuite sur un terrain découvert puis dans les bois, à la merci de l’ennemi : cf. et les nôtres n’osaient pas les poursuivre, II, 19), alors qu’en vérité ils n’ont pas pu franchir la rivière à cause de l’attaque massive et inattendue de l’ennemi (II, 23).

- bien que le récit insiste souvent sur les difficultés rencontrées par les légionnaires pour édifier leur campement, combattre efficacement, et défendre leur camp, César fait prévaloir cette fois une position forte à laquelle les Gaulois se sont heurtés (II, 27). Mais cette position était-elle vraiment si forte, qui a failli être enlevée par les Gaulois, et que seule l’arrivée de trois légions fraîches a sauvé d’une défaite complète ? La suite d’actions énoncées ici (franchir la rivière, escalader la berge, marcher sur le camp ennemi, II, 27) résume en quelques mots l’attaque de l’armée gauloise et pratiquement toute la bataille, bien sûr en faisant l’éloge de l’ennemi, mais en même temps en réduisant son action militaire à quelques opérations autant banales qu’inefficaces, et escamotant tout l’épisode pendant lequel les Gaulois placèrent l’armée romaine dans une situation critique (II, 23-26) ;

- à l’issue du combat, le peuple nervien est presque réduit à néant, … il reste à peine cinq cents soldats valides sur une armée de soixante mille hommes (II, 28). Pourtant, dans les années qui suivirent, les Nerviens purent encore envoyer contre les légions romaines d’importants contingents de soldats (V, 39-42 ; VII, 73). Une telle exagération n’est-elle pas destinée à compenser l’aveu des pertes romaines et à marquer les qualités humaines d’un César pris de pitié et de mansuétude à l’égard de l’ennemi ?
Mais si l’on ne veut pas tomber dans le travers d’un commentaire abusivement interprétatif, il ne faut pas omettre un troisième paramètre, d’ordre géographique :

4. Repère topographique. En 1802, Sébastien Bottin (qui donnera son nom à l’annuaire téléphonique), secrétaire général du département du Nord, se voit confier par le préfet Christophe Dieudonné, à la demande de Napoléon Ier, la Statistique du département du Nord. Trois volumes paraissent de 1804 à 1815 ; le premier contient une étude de la topographie et de la géographie, on y lit (p. 16-27) les caractéristiques des Routes, rivières, canaux et vallées. L’Escaut traverse le département sur une longueur de 80 km [sur 430 km au total], il accuse une largeur de 20 m, et sa vallée, large de 200 m à l’origine, s’étend jusqu’à 400 et 500 m. La Sambre est dotée d’une longueur de 55 km [sur 187 km au total], pour une largeur de 10 m, et une vallée s’étendant en largeur réduite sur 500 m. Quant à la Selle, qui coule sur 37 km, sa vallée a une largeur réduite de 300 m à son entrée dans le département, mais depuis Haspres jusqu’au point où cette vallée se réunit à celle de l’Escaut, elle a 800 mètres de largeur (t. I, p. 26).

La Selle n’est donc pas un tout petit cours d’eau, et ses caractéristiques peuvent être comparées à celles de fleuves plus importants : si des trois rivières ici mentionnées par Dieudonné, elle est celle dont la vallée a le plus d’étendue, cela explique peut-être la rivière très large dont parle César. Par vallée, il faut entendre l’ensemble formé par le fond alluvionnaire et les versants constituant les pentes du cours d’eau. A ces berges succèdent les collines, toutes deux semblables dans leur profil, l’une au sommet de laquelle est implanté le camp romain, l’autre garnie de forêts et surmontée du camp gaulois. Ni pour les Nerviens ni pour les autres Belges, la largeur de la rivière n’a été un paramètre essentiel dans la bataille. En revanche, la pente de la colline aura joué un rôle plus décisif : une colline toute en pente douce (II,18), les troupes s’étaient rangées selon la pente de la colline (II, 22). C’est le trajet qui les conduit de leur forêt jusqu’aux légions romaines postées en haut de la colline qui, au commencement de la bataille, provoque l’épuisement des Atrébates harassés par la course et tout hors d’haleine (II, 23).

Quant au peu de profondeur de l’eau, elle est peut-être responsable de l’effet de hauteur des berges, car nous l’avons vu, nulle part la narration de César ne laisse entendre que les Romains ou les Gaulois aient éprouvé de difficultés à franchir la Sabis, bien au contraire : Notre cavalerie passa la rivière (II, 19) ; les Gaulois descendirent au pas de course vers la rivière… et avec la même rapidité ils gravirent la colline opposée (II, 19).

Aux premières lignes de cette analyse, nous avons laissé le toponyme Sabis> à l’état See qu’il devait avoir vers le XIIIe siècle. Peu après, le suffixe atténuatif –elle lui fut adjoint, pour obtenir Selle, c’est-à-dire « petite See », comme Avesnelle signifie « petite Avesnes » (même phénomène pour coupelle = petite coupe, tourelle = petite tour, ruelle = petite rue, etc.). Dès lors, faut-il imaginer que la Selle était, au temps de César, une rivière plus importante qu’aujourd’hui ?

5. Remarque : il est évident que lors de la bataille de l’Axona (II, 8-11), juste avant celle de la Sabis et à l’inverse de ce qui se passa sur celle-ci, la rivière de l’Aisne joua un rôle primordial, puisqu’elle était tenue par les Romains et que les Gaulois, renonçant à la franchir, décidèrent d’abandonner le combat. Mais l’étude de cette bataille engendrerait un autre débat…



Haspres - Genealegrand
© 2010 - Olivier LEGRAND

Sources utilisées : Textes inédits de Monsieur Bigotte