La rue Raoult du nom de son bienfaiteur est à l'origine d'une affaire qui fit beaucoup de bruit dans le village et même dans la région à la fin du XIX° siècle.
Charles Jean Baptiste François RAOULT est né à Haspres en 1808, fils légitime des feux Jean Baptiste Raoult et Isabelle Domitilde Havet. Charles Raoult était cultivateur et fabricant de sucre de betterave (associé à Xavier Morelle).
En janvier 1837, il épouse Caroline Sophie Cossiaux, fille légitime de Jean Baptiste Cossiaux et de Florentine Macart. Les époux habitaient une grande ferme sise rue de Valenciennes.
De cette union le couple aura deux fils :
Charles, brasseur et négociant en vins à Péronne et Jean Baptiste, cultivateur. Tous les deux décédent
à l'age de 34 ans sans laisser de descendance.
Affecté sans doute de cette situation, Charles RAOULT dépose le 22 mars 1877 en l'étude de Maitre BOUCHEZ notaire à BOUCHAIN un testament mystique.
Le testament mystique
Un testament mystique est rarement utilisé. Celui ci écrit par la main du testateur présente l'avantage de rester secret jusqu'à son ouverture. Quel est le contenu du testament de Charles Raoult ? Mystère !
Charles RAOULT décède un an plus tard le 31 aout 1878, le testament est alors ouvert. La surprise est totale chez les héritières Marguerite Raoult, veuve Lecompte et ses trois nièces !
"J'institue pour mon légataire universel le bureau de bienfaisance de la commune d'Haspres aux charges et conditions ci après. Tous mes immeubles ruraux seront loués par bail devant notaire. Tous mes autres biens seront réalisés et le produit employé en achat de rentes trois pour cent pour l'état français.
Des revenus des biens et des rentes il sera fait chaque année quatre parts pour être distribué en argent savoir :
- la première, le premier janvier, aux orphelins et aux malades
- la deuxième, le premier avril, aux viellards par rang d'âge et seleon leurs infirmités
- sur les deux dernières parts seront prélévées les frais d'entretiens à perpétuité de ma tombe et les frais et honoraires de la fabrique de l'église le surplus de ces deux parts sera distribué à tous les pauvres de la commune d'Haspres sans distinctions à l'issue de la messe qui sera célébrée chaque année à ma mémoire et à la mémoire de ma famille à
10 heures du matin le lundi qui suivra le 14 septembre et à la suite du profundis qu'on ira chanter sur ma tombe. Mon légataire universel, n'entrera bien entendu en jouissance des biens compris dans mon legs qu'après le décès de ma femme et il ne sera tenu d'un autre côté des obligations que je lui impose que du jour dudit décès.".
Les biens légués constituaient en une ferme sise à Haspres, une ferme sise à Ramousies, plusieurs prairies et terres à Haspres, Verchain, Douchy, Noyelle, Maing, ainsi que de nombreuses patures et bois.
Frustrées, les héritières (il y a la soeur de Charles Raoult, la veuve Isidore Lecompte, ainsi que les nièces Urany, Isabelle, Luce et Julie Cossiaux) ne peuvent malheureusement que se résigner, car le testament mentionne en outre que la veuve Raoult garderait l'usufruit desdits biens jusqu'à son décès. Et la veuve vivra encore jusqu'en janvier 1887.
Une longue et interminable procédure
Lors d'une séance du conseil municipal du 14 février 1879, Le maire Auguste Caullet expose le contenu du leg. "Un inventaire des biens meubles et immeubles délaissés par feu Moinsieur RAOULT a été fait par le dit maître BOUCHEZ notaire, le 26 septembre et 12 novembre 1878. Il résulte de cet acte :
1° Que Monsieur RAOULT n'a laissé ni enfant ni ascendant et par conséquent aucun héritié à réserve.
2° Vue les immeubles légués consistant en terre, en courablés et fermes situées sur les térritoires d'Haspres, Verchain, Douchy, Noyelles sur Selle, Ramousies (commune de l'Avesnois), et Maing et qu'ils peuvent contenir en superficie environ quarante huit hectares.
3° Qu'ils ne sont grévés d'aucune dette, hypothèque ni charge quelconque.
Dans cette situation il y a donc tout interet de la part du bureau de bienfaisance d'Haspres à accepter les legs à lui fait par Monsieur RAOULT.
Le 7 janvier 1887, Sophie COSSIAUX décède. Devant ce désheritage Marguerite Raoult, veuve Lecompte décide de s'opposer au bureau de bienfaisance et porte l'affaire en justice en demandant la récupération des biens paternels et maternels.
L'affaire revient au conseil muncipal du 29 juillet 1887, présidé par Ernest LESTOILLE. Monsieur le maire dépose sur le bureau une délibération prise le 28 juillet courant par le bureau de bienfaisance aux termes de laquelle le dit bureau est d'avis de demander au conseil de préfecture l'autorisation d'entrer en justice pour répondre à la demande que les époux LESNE-COSSIAUX, MORELLE-COSSIAUX et LAGRUE-COSSIAUX se proposent d'intenter pour arriver à la liquidation et au partage de la communauté ayant existé entre les époux RAOULT-COSSIAUX.
Il expose qu'au termes de la loi le conseil municipal doit donner son avis sur la délibération qui lui est soumise. Que le bureau de bienfaisance légataire universel de Monsieur RAOULT doit en toute necessité être représenté devant les tribunaux où il va être appelé par les héritiers de Monsieur RAOULT afin d'y faire valoir ses droits. Qu'il y a bien lieu de donner un avis favorable à la délibération du bureau de bienfaisance.
L'affaire est portée devant le tribunal civil de Valenciennes qui tranche en faveur du bureau de bienfaisance.
Ainsi que devant le sous prefet qui demande une enquête :
La maison d'habitation et la ferme Raoult sont situées au centre de la commune d'Haspres (3 000 habitants), qui possède une maison d'école maternelle mais insuffisante. Cet immeuble se prête à la construction d'une maison d'école maternelle dans laquelle seraient reçu tous les enfants des deux sexes, d'age scolaire, parmi lesquel, le bureau de bienfaisance, désignerai les indigents auxquels il serait donné plusieurs repas par jours d'une nourriture saine et abondante. En vertu du résultat, au point de vue intellectuel, ce régime alimentaire appliqué à des jeunes enfants aurait pour avantage de fournir à la commune, une population agricole forte et virile. La situation financière de la commune d'Haspres et les grandes ressources du bureau de bienfaisance permettent du reste la réalisation de ce projet humanitaire pour lequel les deux administrations se mettaient en facile accord.
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Porche Pigeonnier de la Ferme Raoult, rue de Valenciennes à Haspres. | |
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Mais les héritières ne se découragent pas et le 25 février 1889, la cour d'appel de Douai a annulé le jugement du tribunal de Valenciennes et a décidé que le bureau de bienfaisance n'avait droit qu'à la moitié des immeubles ! Devant cette nouvelle situation, Ernest Lestoille décide d'envoyer l'affaire devant la cour de cassation.
Le 29 mai 1890, la cour de cassation rejette le pourvoi du bureau de bienfaisance : Il y a lieu de considérer que l'établissement charitable est encore appelé a reccueillir 163 000 francs environ et que la soeur du testateur qui réclame contre la délivrance de la libéralité a émis des prétentions bien modestes sur la fortune de son frère puisqu'elle se borne à demander qu'il soit fait abandon d'une petite propriété estimée à 25 000 francs et qui constitue un bien patrimonial.
L'affaire va encore trainer jusqu'en 1894, ou Maître Varlet, notaire à Bouchain procédera à la liquidation des biens. Le bureau de bienfaisance va hériter de la ferme de Rempsie, ainsi que diverses parcelles.
En reconnaissance à son geste, la rue de la vierge sera rebaptisée rue RAOULT.
La tombe de la famille COSSIAUX-RAOULT se trouve sur la gauche de l'allée centrale du cimetière.
Sources utilisées :
- Archives municipales
- Archives Départementales du Nord
- Guy Morelle