Marcel Delmotte
 
La fanfare d'Haspres René Devemy Marcel Minair

M. Marcel Delmotte, D'Haspres, courut avec Ladoumègue et cotoya Claude Dauphin et Jean Pierre Aumont...

C'était en 1971, dans les sutdios d'enregistrement de Philips à Paris, rue des Dames, la Fanfare municipale d'Haspres gravait dans la cire, pour la première fois, son dynamisme, sa volonté, son talent, toute sa passion collective pour la musique. Et là, derrière la grande vitre de la salle technique, était un homme attentif; ni technicien ni responsable de la phalange musicale, un visiteur simplement. Un parisien de surcroît. Mais un visiteur fort interessé, un mélomane pour lequel certaines têtes dans la salle d'audition n'étaient pas inconnues. Et pour cause, il avait vécu sa petite enfance à Haspres, était resté toujours Hasprien de coeur et il reviendrait quelques mois plus tard vivre en Ostrevant.

Par cette fidélité à la terre du Nord de ses aïeux, par cet amour de la musique et de la Fanfare, on pourrait certes ainsi résumer la vie, d'Haspres à Haspres , de M. Marcel Delmotte, dont la haute et altière silhouette est désormais liée à jamais à l'histoire de la Fanfare, et dont chacun apprécie, au village, l'amabilité, la distinction, l'érudition. Mais ce serait ignorer toute la richesse d'un parcours étonnant dans ce vingtième siècle au travers d'événements tragiques et heureux, et de rencontres extraordinaires....

Voici quelques jours, M. Marcel Delmotte, vice président de la Fanfare d'Haspres depuis quinze ans, a désiré céder sa place. Et en au revoir, en au revoir seulement, à ses amis musiciens, il a fait fi de sa coutumière discrétion sur lui même, et il conté cet étonnant et attachant parcours qui fut le sien dans ce siècle. C'est un auto portrait, offert avec grande amitié à la fanfare, et que nous publions ici. C'est M. Marcel Delmotte qui parle.

Portrait paru dans la voix du nord du dimanche 28 janvier 1990.

Le 21 Janvier 1990 :

Marcel et Irma Delmotte

Chers Amis,

Le moment est venu de vous dire "Au revoir". Dans la vie, lorsque le poids des ans se fait sentir, il faut savoir passer le flambeau. J'en étais là de mes réflexions, mon livret de famille entre les mains, sur lequel je lisais "Marcel Delmotte", né le 12 mars 1906, à Cambrai ce qui veut dire que dans 2 mois j'aurai 84 ans.

Je vais vous quitter en tant que vice Président de notre belle Fanfare, mais en tant qu'auditeur, bien sûr.

Toute vie est un roman. Ayant traversé deux guerres, et ayant beaucoup vécu, mom propre roman est assez dense et je pense qu'il vous intéressera.
Bien que né à Cambrai, j'ai passé toute mon enfance à Haspres. Notre famille est d'Haspres. Mon père était ouvrier chez "Cail", à Denain. Après son mariage il se fixa donc ici. Nous habitions en haut du village, à l'équelette.

En 1914, vint la guerre. Mon père mobilisé rejoignit son régiment. Les Allemands, violant la neutralité de la Belgique, envahissent bientôt le Nord. Haspres est occupé. La vie ne fut pas facile. A la mairie était installée une "Kommandantur" qui exercait un pouvoir rigoureux : perquisitions, tracasseries de toutes sortes, ainsi on ne pouvait aller à Avesnes le Sec sans laissez-passer.

En 1917, les événements changent : c'est l'entrée a nos côtés, des américains. Puis en juillet 1918; c'est l'offensive générale de la reconquête, sous le commandement du généralissime des armées alliées, le général Foch.

Recul des Allemands; évacuation systématique des populations de l'arrière, villes et villages. Haspres à son tour, dut partir. Pour aller où ! Sur les routes vers la Belgique, ce ne sont que colonnes de viellards de femmes et d'enfants trainant des poussettes surchargées. Ma mère et moi échouons à Clouges en Belgique. Mais là, épuisée, atteinte par la "grippe espagnole", ma mère meurt. Je restais seul, j'avais 12 ans. C'est la famille Machut, les parents d'Alphonse, qui me recueillit et me ramena à Haspres.
Vers la mi-décembre 1918 mon père revint a la nouvelle de la mort de sa femme, ce fut la consternation. Alors que faire ? "Tio, me dit-il, on part à Paris".
Nous y avions des parents, un frère à ma mère, tailleur à Auteuil, dans le 16° arrondissement. Il voulut bien me prendre en charge, mon père ne pouvant me garder, car il venait de trouver un travail dans une usine à Aubervilliers.

A la rentrée des classes, en janvier 1919, j'entrais à l'école communale de la rue Boileau, j'y fus fort bien accueilli. Pensez donc, je venais des pays envahis.
Mais en classe, on s'aperçut vite que je ne savais rien. Alors tout le corps enseignant fut autour de moi et en six mois de cours intensifs, je passais avec succès le certificat d'études et l'entrée au lycée J.B Say, sur concours.

Je dois à la vérité de dire que je fus certainement favorisé. Ainsi, pour le certificat d'études je suis reçu à l'écrit, vient l'oral. Je suis devant une examinatrice mon dossier devant elle. Pendant 20 minutes, elle me fait raconter ma vie durant l'occupation. Mais pas une seule question sur les matières enseignées. Et je suis reçu avec la mention "Bien". Faut le faire.

A, J.B Say, je prends la filière commerciale : 3 ans d'études. J'en sors avec le brevet élémentaire, le BEPS et un diplome de commerce. J'entre tout de suite, à 16 ans, dans la vie active : à la maison Revillon Frères, la plus importante maison de fourrures de Paris. On me mit à la manutention des peaux de toutes sortes : lapins, taupes, renards, visons, hermines etc... Il fallut s'accomoder à l'odeur des sauvagines; à la longue, on s'y fait.

Vient la crise économique de 1933-34. Avec 100 de mes collègues, ouvriers, employés, vendeurs, placiers je suis licencié. Heureusement Madame Delmotte qui était au ministère de la marine m'invita à passer des concours administratifs. Je suis reçu commis au Ministère de la défense. Par la suite, je gravis les échelons, pour finir Administrateur civil, assimilé au grade de Colonel.

Croquis de Claude Dauphin dédié a Marcel Delmotte

Chez Revillon, je fréquente d'autres camarades de travail. Avec eux je deviens un vrai titi parisien, au langage argotique imagé. Ainsi une chemise, c'est une liquette, une limande; un pantalon un froc, un benard; un parapluie, un pépin, un riffard; un nez, un tarin; les oreilles, des esgourdes; "magnes toi le popotin veut dire, dépeches toi".
Je savoure ma liberté; je joue au billard, je fais du sport : natation, athlétisme, tennis. J'allais le dimanche matin dans un petit stade situé au pied des hauteurs de Paris. L'entrée était gratuite à condition de rendre service, en l'occurence de faire le lièvre pour les grands champions qui venaient s'entrainer là : Jules Ladoumègue, recordman du monde du 5000 m, Séraphin Martin, Paul Wisiath, champions respectifs d'Europe des 800 et 400m. Nous prenions le départ du groupe Ladoumègue au milieu de nous et continuions jusqu'à épuisement. Pensez si nous étions fiers de cotoyer de tels champions. Pour jouer au tennis, nous allions au Bois de Boulogne; nous achetions nos balles à Roland Garros. Vous savez que dans les tournois on change les balles tous les 9 jeux. Nous installions le filet, nous tracions le court avec du plâtre ..... et courions ensuite après les balles perdues.

1939 - Nouvelle guerre mondiale. Exactement 21 ans seulement après la 1ere - A qui la faute ? A Hitler bien sûr, qui voulait dominer le monde. Mais un peu aussi à l'aveuglement des pays occidentaux qui l'ont laissé Hitler forger ses armes, sous couvert d'un antibolchevisme dans lequel ils voyaient un rempart contre le communisme. Hitler commenca par réoccuper la Rhénanie, personne ne bougea. Or , on sait aujord'hui que si la France avait mobilisé, Hitler eut retiré ses troupes. Puis vint l'affaire des sudètes qui permet à Hitler de démanteler la Tchécoslovaquie, notre plus fidèle alliée, par les accords de Munich. Ensuite ce fut l'Anchluss, c'est à dire l'annexion de l'Autriche. Enfin le pacte Germano-Soviétique qui consacra le partage de la Pologne entre l'Allemagne et la Russie. Désormais les mains libres, Hitler pouvait se retourner contre nous. Aout 1939 - Je suis mobilisé. Je dois me rendre au 1er Dragon à St Germain en Laye; mais après 3 mois seulement afin de pouvoir à mon remplacement; qui vois je arriver pour prendre ma place : Claude Dauphin, Jean Pierre Aumont (qui lui ne restera pas). C'étaient de joyeux compagnons, doués en tout. Ainsi Claude Dauphin agrémentait ses papiers de dessins humouristiques car il déssinait à la perfection.
Par lui, je fais connaissance de son frère, Jean Nohain et de sa femmee Rosine Dereau. Tous étaient habités par un ardent patriotisme. D'ailleurs ils passérent en Angleterre ce qui valut à Rosine Dereau d'être déportée à Ravensbruck.

L'armistice - J'ai la chance de ne pas être prisonnier. Les Allemands accordent à la France une armée de 100 000 hommes à base de cavalerie et de moyens tractés hippomobiles. Au ministère, j'étais justement à la direction de la cavalerie. Je retrouve mon emploi.

1945 - C'est la fin des hostilités
1964 - c'est la retraite
1971 - Nous revenons à Haspres
1975 - Je deviens votre Vice Président, comment et bien voici.

Un jour René DEVEMY un ami de longue date, à qui j'ai demandé d'être présent aujourd'hui, me dit :
- "ti, t'aras bientôt une surprise"
- "Ah! bon fis-je, c'est quoi ta surprise ?"
- "T'el verra bin"

De fait, un peu plus tard, il revient avec Fernand :
- "Alors, tu viens me dire ta surprise ?"
- "Eh oui voilà, nous venons te proposer la vice présidence de la fanfare"
Un peu saisi, je reponds :

- "Ah bon, mais il n'y en a pas d'autres"
- "Si fait, mais nous ché ti qu'in veut"

Je ne pouvais refuser un tel honneur; j'acceptais. Vous voyez ce n'est pas plus difficile que ça de devenir votre Président.
Aujourd'hui, 15 ans après, je ne le regrette pas. J'ai vécu parmi vous des moments exaltants ce que j'ai fait pour vous, vous me l'avez bien rendu, par votre sympathie, votre fraternité. Et si je suis encore à peu près bien physiquement et bien intellectuellement, c'est à vous que je le dois, car vivre dans un milieu musical où domine la jeunesse, vous garde jeune également.
Je quitte mais je ne suis pas indispensable, personne d'ailleurs n'est indispensable (c'est notre ami Roger Margnon qui me disait un jour, des indispensables, il y en a plein le cimetière). Ainsi quand M.Minair fort diminué s'est effacé, c'est Louis qui l'a remplacé. Ne se révèle t'il pas un chef eminent aujourd'hui sûr de lui. Notre sous chef Maurice Degand ne tient il pas lui aussi la baguette fort honorablement. J'en pourrais citer d'autres, car la fanfare est pleine de talents.

En ce qui concerne mon remplacement, je ne doute pas que vous trouviez en René Claude Dumas, un homme tout dévoué à la cause de la fanfare. C'est un mélomane, je le sais - car recevant chez moi une personne venue me proposer une encyclopédie musicale, elle m'affirma que vous, René Claude, vous lui aviez pris une souscription. Et-ce-vrai ? (Il répond oui).
Je voudrais aussi vous dire combien, mes relations avec notre Président M.Fiévez ont été excellentes, jamais l'ombre d'un nuage entre nous. De m^me avec Messieurs Minair et Fernand. Nous avions en commun l'amour de la belle musique, celle qui est encore aujord'hui à la base de vos programmes. Je ne saurais trop vous exhorter à continuer dans cette voie. C'est cela qui fait votre célébrité. Interprétées comme vous savez le faire, ice je tire un grand coup de chapeau à nos jeunes qui grâce a leur travail personnel, grâce à d'excellents éducateurs (je n'en citerai qu'un, car il le mérite René Coquelet) ait acqui une telle maitrise qu'ils forment avec les anciens un ensemble de haute qualité. Oui, je le répète interprétées comme vous savez le faire; par les cuivres qui composent notre orchestre, les oeuvres de nos grands compositeurs prennent une densité, un relief que ne donnent pas les violons des orchestres symphoniques.

Oui, grâce à votre assiduité aux répétitions, grâce à votre facilité, grâce à l'exigence de votre chef pour le respect des nuances, vous avez retrouvé un haut niveau qu'il vous faudra conserver, sinon dépasser encore grâce aussi à votre cohésion, à votre bonne entente, c'est plaisir de voir combien les jeunes sont liés aux anciens par l'amitié et le respect - c'est beau. Et puis autour de vous il y a beaucoup de coopération et de dévouement.

A l'aube d'une nouvelle saison musicale, je souhaite bon vent à notre fanfare, bonne et heureuse année à tous nos musiciens et leur famille et je crie bien fort : "Vive la Fanfare d'Haspres".

Pour terminer laissez moi vous lire un poème qui exprime bien la philosophie qui doit être celle de l'homme agé.

"Savoir Vieillir"

"Vieillir, se l'avouer à soi même et le dire,
Tout haut, non pas pour voir protester les amis
Mais pour y conformer ses gouts, et s'interdire
Ce que la veille encore on se croyait permis

Avec sérénité, dés que l'aube se lève
Se bien persuader qu'on est plus vieux d'un jour
A chaque cheveu blanc se séparer d'un rêve
Et lui dire tout bas un adieu sans retour

Aux appétits grossiers, s'imposer d'âpres jeunes
Et nourrir son esprit d'un solide savoir
Devenir bon, devenir dous, aimer les jeunes
Comme on aima les fleurs, comme on aima l'espoir

Se résigner à vivre un peu sur le rivage
Craindre d"être importun sans devenir sauvage
Puis un beau jour, discrétement éteindre la flamme
De sa lampe et disparaître en libérant son âme."



Haspres - Genealegrand
© 2011 - Olivier LEGRAND

Sources utilisées : Discours de Monsieur Marcel Delmotte du 21 Janvier 1990
VDN 29/01/1990