Louis XIV règne sur le trône de France depuis la mort de son père en 1643. C'est après la mort de Mazzarin en 1661 que débute réellement son règne. Alors que la guerre de succession d'Espagne fait rage depuis 1701, la France est dans une période noire tant bien au plan national qu'au plan militaire. Les victoires du maréchal Villars de FRIEDLINGEN (1702) et HÖCHSTÄDT, n'y change rien. Les alliés ont à leur tête Eugène de Savoie et MALBOROUGH. Alors que la France subit des défaites sans précédent, Villars est remplacé par Tallard. Villars doit se rendre dans les Cévennes pour mater la révolte des camisards.
En 1708, la presque totalité des places fortes du Nord de la France sont sous contrôle des alliés. A cela s'ajoute l'augmentation du prix du pain. Les caisses de l'Etat sont pratiquement vides et la population est soumise au lourd fardeau de l'invasion ennemie. Et pour combler l'affaire, l'hiver 1709 est l'un des plus rigoureux de ce début de siècle ! De nombreuses victimes périssent du froid et de la faim.
La commandement de l'armée du Nord est rendu au maréchal Villars, celui-ci ne perd pas de temps et oeuvre à sa réorganisation. Les alliés pressé d'en découdre, reprennent l'offensive le 11 septembre 1709, c'est la bataille de Malplaquet. Villars est blessé la bataille est un status quo, personne ne prend réellement l'avantage. 1710 la situation se stabilise, la politique britannique semble s'infléchir - MALBOROUGH est destitué.
Monsieur Gérard Lesage auteur de l'ouvrage Denain (1712), Louis XIV sauve sa mise, nous fait l'honneur de son récit sur cette célèbre bataille.
Le 15 mai 1702, inquiets de la situation créée par Louis XIV en acceptant que la couronne d’Espagne revienne à son petit fils, l’Empire, l’Angleterre et la Hollande, déclarent la guerre à la France et à l’Espagne. La plupart des autres pays européens ne tarderont pas à rejoindre la coalition.
La guerre qui s’ouvre (ce sera la guerre de succession d’Espagne) va durer jusqu’en 1714.
Elle sera la largement néfaste au royaume de France, avec des finances publiques désastreuses et la détresse d’une grande partie de la population. Les armées françaises seront, d’une manière générale, largement dominées. A s’en tenir à la situation sur le front nord, la lourde défaite de Ramillies en 1706 obligera les Français à évacuer les Pays Bas espagnols. En décembre 1708, Lille capitule après un siège de quatre mois. Les places de Douai, Béthune et Aire sur la Lys tombent en en 1710, celle de Bouchain en 1711.
Au printemps 1712, la Lys, la Scarpe, la Deûle sont sous le contrôle des armées coalisées. La défense de l’Escaut est aussi désorganisée. Les Français conservent sur ce fleuve une garnison à Condé et Valenciennes. Mais, l’une comme l’autre sont à présent isolées et le gros de l’armée française doit à présent se cramponner plus au sud, à la citadelle de Cambrai, dernier rempart avant Saint Quentin et la vallée de la Somme. Surtout, la conquête de Bouchain, et la prise du camp retranché de Denain en 1711, ont ouvert aux coalisés un passage vers l’est.
Tenant Le Quesnoy et Landrecies les troupes françaises ferment encore la vallée de la Sambre et protègent Guise et le val de l’Oise d’une offensive ennemie. Mais Le Quesnoy tombe le 5 juillet 1712 et le 17 juillet, les Impériaux (30 bataillons et 40 escadrons) commandés par le prince d’Arnholt-Dessau commencent le siège de Landrecies. Ce détachement est le fer de lance de l’armée de 100 000 Impériaux et Hollandais commandée par le prince Eugène qui, jusqu’alors installé à Haspres, déplace son quartier général à Quérénaing.La situation est grave. Evoquant l’éventualité d’un siège de Landrecies, Voysin, le ministre de la Guerre écrit au maréchal Villars qui commande l’armée française qu’il « vaut bien mieux risquer l’évènement d’un combat plutôt que de souffrir que les ennemis se rendent maîtres de cette place, après laquelle il n’en resterait plus d’autres sur cette frontière que le château de Guise qui n’empêcherait pas que les ennemis n’eussent une entrée libre dans les provinces de Soissonais et de Champagne ». Une bonne nouvelle toutefois, ce même jour le contingent anglais de d’Ormond (12 000 hommes) quitte la coalition en application d’un accord de trêve intervenu entre Louis XIV et la reine Anne d’Angleterre. Il quitte Le Cateau et rejoint Avesnes le Sec. Encore quelques jours et il se repliera sur Gand.
Regardons d’un peu plus près la situation des armées en cette mi-juillet 1712. Pour ravitailler son armée, le prince Eugène, a établi un dépôt à Marchiennes, sur la Scarpe. Depuis cette base, une voie a été conçue et aménagée qui mène au camp de Denain. Garni de nombreux retranchements, ce chemin permet aux convois de circuler à l’abri de la garnison française de Valenciennes. Par deux ponts, on peut à Denain franchir l’Escaut et rejoindre la vallée de l’Ecaillon qui conduit vers la proche vallée de la Sambre. Dans le camp du prince Eugène, où l’on est sûr de la victoire, on appelle cette suite de chemins fortifiés le « chemin de Paris ».
Les lignes du prince Eugène s’étendent ainsi, sur 60 Kms, depuis Marchiennes jusqu’à Landrecies.
Cet étirement du front coalisé est excessif, la dispersion des troupes dangereuse : 6 bataillons stationnent à Marchiennes, 13 dans le camp de Denain, 7 à proximité immédiate de ce camp. 0n a vu que 30 bataillons et 40 escadrons sont sous Landrecies. Le gros de l’armée (de l’ordre de 60 000 hommes) est au centre de la ligne, dans la vallée de l’Ecaillon.
Villars doit impérativement débloquer Landrecies. Pour cela, il a trois possibilités :
- Attaquer le détachement d’Arnohlt-Dessau qui est autour de Landrecies Il n’est composé que de 20 000 hommes mais il peut bénéficier rapidement du soutien de l’armée coalisée,
- Attaquer cette dernière dans ses positions mais elle est bien protégée derrière les rivières de la Harpies et de l’Ecaillon,
- Couper la ligne de ravitaillement en occupant le chemin de Paris. C’est, nous dit Voltaire dans son « Siècle de Louis XIV », la solution préconisée par un conseiller au parlement de Douai, Le Fèvre d’Orval qui, dans un courrier du 7 juin à la Cour de France, suggérait « de couper la communication de Bouchain
et même de Denain et de Marchiennes, si on voulait donner la main à la garnison de Valenciennes pour barrer aux ennemis la communication qu’ils ont par Denain et par Lourches avec la Scarpe et Douai ». Le Fèvre d’Orval, comme nous l’apprend un journal hollandais, la Gazette de Leyde, est en fait, et ce depuis
l’année 1706, un agent de renseignement d’abord de Chemillart, puis de Voysin, ministres de la Guerre de Louis XIV. Son rôle est décisif car le plan qu’il suggère sera en définitive le schéma retenu qui aboutira à la victoire de Denain. La statue commémorative de la bataille rappelle d’ailleurs son souvenir.
Les 19 et 20 juillet, les Français franchissent l’Escaut entre Crèvecœur et Le Catelet. Villars s’installe au Cateau Cambrésis. Son armée se place derrière la Selle, l’aile gauche à Neuvilly, l’aile droite à Molain. Le prince Eugène en déduit que les Français vont tenter une opération contre son armée de siège et déplace le plus gros de ses unités vers Landrecies.
Le 21 juillet, Villars se ravise et demande à deux de ses subordonnés, Vieux Pont et de Broglie, d’attaquer le camp de Denain avec 30 bataillons et 30 escadrons. Il invite le prince de Tingry qui commande la garnison de Valenciennes à appuyer cet assaut. Eugène, averti par ses espions que la garnison de Valenciennes paraissait se préparer à une sortie, redéplace son armée vers la vallée de l’Escaut.
Le 22 juillet, un imposant détachement de la cavalerie impériale appuyé par quelques escadrons hollandais venus de Denain, se déploie sous les murs de Valenciennes. Il n’est plus question de sortie pour la garnison française. Informés à temps, de Broglie et Vieux Pont renoncent à l’assaut décidé par Villars. Comme l’écrit alors ce dernier à Voysin, « cette affaire ne pouvant s’exécuter, j’ai marché à la Sambre ». C’est vers Landrecies de nouveau que se concentrent les unités françaises. Elles franchissent la Selle. Villars se poste avec son aile droite à Mazinghien, à guère plus de 5kms des premiers emplacements de Landrecies.
Le 23 juillet matin, Villars s’avance vers Ors pour inspecter les lignes ennemies. Il se persuade définitivement des risques qu’il courrait en prescrivant là une offensive. Sa décision est prise ; il n’attaquera pas Landrecies. Dans le même temps, Eugène s’est à présent convaincu du contraire et que son adversaire va l’attaquer là sur la Sambre. Dès midi il ramène son armée vers ce secteur. Rentré dans son quartier général de Mazinghien, Villars réunit son second, Montesquiou, et ses cinq officiers d’état major. Il leur dévoile son plan : attaquer sur l’Escaut le lendemain à l’aube, en déplaçant dans la nuit toute son armée. C’est la manœuvre de Denain.
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Les ruines du moulin d'Avesnes le Sec, point d'observation stratégique pendant la bataille de Denain en 1712. | |
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Dans la nuit du 23 au 24 juillet, les Français partent vers la vallée de l’Escaut. Ils ont plus de 40 Kms à franchir. L’armée se déplace sur trois colonnes. Celle qui longe la vallée de la Selle est au plus près de l’armée impériale. Par endroits, les deux armées ne seront éloignées que de 5 à 6 Kms. Le silence absolu est de rigueur. Des morceaux de tissu ont été placés sous les sabots des chevaux et les roues des attelages. Le journal tenu par le curé d’Haveluy, cité par l’historien Guy Tassin, nous dit qu’un soldat natif d’Haspres, qui aurait pu être soit Charles Flahaut, soit Joachim Bricout, traversa son village à cette occasion. La marche est difficile. Le matin, Villars est informé que c’est avec un retard de 2 heures sur l’horaire prévu que ses troupes pourront franchir l’Escaut. Il fera alors jour. De nouveau, il hésite. Près du moulin d’Avesnes le Sec, il s’interroge sur les risques qu’il fait courir à son armée. Montesquiou lèvera cette dernière hésitation.
Dans le camp de Denain, 20 000 Hollandais, commandés par le comte d’Albermarle surveillent le chemin de Paris. Adossé à l’Escaut, le camp est protégé par un fossé, un parapet de pierres, enfin une palissade de près de dix mètres de hauteur. Six bataillons impériaux sont aussi stationnés à proximité immédiate.
La manœuvre française n’est comprise que tardivement par d’Albermarle, lorsqu’on lui annonce des mouvements de troupes près d’Avesnes le Sec. La cavalerie hollandaise se précipite vers Neuville pour empêcher le passage de l’Escaut. Elle ne peut que constater que les régiments français s’avancent en nombre vers Denain. Le prince Eugène est alors prévenu. Après avoir observé les mouvements des troupes françaises, Eugène rassure d’Albermarle et lui écrit « que c’était encore une gasconnade de Villars, lequel n’attaquerait point et faisait cette marche tout simplement pour l’obliger à dégarnir la gauche de la grande armée. » Singulier manque de discernement d’Eugène qui, aux dires de Maurice de Saxe, le futur vainqueur de Fontenoy, ajoutera pour son entourage qu’il était « temps d’aller déjeuner ».
Car pendant qu’Eugène et sa suite partent se restaurer, l’armée française commence l’encerclement du camp de Denain. Quand Eugène revient à Denain vers midi, il comprend cette fois qu’une affaire sérieuse se prépare et se détermine à ramener ses unités vers l’Escaut. Mais il est bien tard !
Succédant à la cavalerie de de Broglie, l’infanterie de Montesquiou s’est massée sur le chemin de Paris. Elle est à présent en avant-garde. De petites pièces d’artillerie qui peuvent tirer pendant la marche complètent le dispositif.
Il est une heure de l’après midi lorsque les Français prennent l’offensive. En vingt minutes le fossé et le parapet sont atteints. La palissade ne résiste pas longtemps. Chez les Hollandais, c’est la panique, la retraite précipitée. La déroute est totale et d’Albermarle décide de se rendre.
Les Impériaux pourraient déployer une contre offensive. Il leur faut pour cela emprunter le seul pont qui demeure utilisable, le pont de Prouvy. Mais, avec les quinze bataillons de la garnison de Valenciennes le prince de Tingry s’est positionné près de l’ouvrage et refoule les assaillants. Lorsque la pression deviendra trop forte, il fera sauter le pont. La bataille de Denain est terminée.
Quand Louis XIV apprendra de la bouche d’un certain d’Artagnan, le neveu du maréchal Montesquiou, le succès de son armée, ce fut, dit Saint-Simon « un débordement de joie ». Dans les semaines qui suivirent « ce simple combat » comme le qualifie Ernest Lavisse, les Français reprennent une à une les places conquises par les coalisés. Ce sera Marchiennes le 31 juillet, Douai le 8 septembre, Le Quesnoy le 4 octobre, Bouchain le 19 octobre. Alexandre Dubois, le curé de Rumegies, notera dans son registre paroissial : » En trois mois de temps, les Français ont regagné ce que leurs ennemis avaient conquesté en deux ans ».
La paix est proche qui permettra à Louis XIV de sauver l’essentiel en préservant l’intégrité de son royaume.
Gerard Lesage